vendredi 3 juin 2011

L’abstraction au-delà d’elle-même. Shirley Jaffe, Jonathan Lasker, Philippe Richard et Diana Cooper : L’hétérogène, l’impur, la limite


Texte paru dans la revue Esthétiques 2, Philosophique 2011, Annales Littéraires de l'Université de Franche-Comté, mai 2011

« L’abstraction au-delà d’elle-même » est un titre donné par Jonathan Lasker, peintre américain, à l’un de ses articles[1]. Lasker parle de ses peintures comme d’ « images abstraites ». Selon lui, « on peut référencer la signification des éléments d’une peinture, et ces éléments peuvent être assemblés de manière à créer un discours spécifique[2] ». Un tel énoncé suppose une vision hétérogène de la peinture abstraite. La nature complexe et hétérogène du travail abstrait actuel et son ancrage dans la réalité nous intéresseront dans ce texte[3]. Il sont liés pour une première catégorie de travaux à une présence concrète et matérielle des œuvres conçues en tant qu’objets dans un espace et pour une deuxième catégorie, à la reprise au sein des œuvres d’images de la réalité. Si l’on remonte aux racines historiques du terme « abstraction », on s’aperçoit qu’il a été très souvent remis en question : les mots réel, réalisme, réalité apparaissent chez la plupart des pionniers de l’abstraction. Mondrian écrit par exemple en 1919 un texte intitulé « Réalité objective et réalité abstraite », Malevitch parle de « réalisme pictural » et Kandinsky établit une équivalence entre réalisme et abstraction, justifiée de la manière suivante : « Dans l’art abstrait, l’élément « objectif » réduit au minimum doit être reconnu comme l’élément réel le plus puissant[4] ». Autrement dit : la notion de réalité est assimilée à celle de « réalité plastique » de l’œuvre. Une telle conception continue de trouver un écho chez des artistes aujourd’hui. La réflexion que je vais présenter concerne quatre artistes contemporains, de trois générations différentes.
Shirley Jaffe, peintre américaine née en 1923, vit à Paris depuis 1949. Elle affirme que sa pratique est guidée par « une nécessité de retrouver un contact avec les choses[5] ». Elle a d’abord appartenu au mouvement de l’expressionnisme abstrait, puis, à partir de 1963-1964, a lieu une véritable transformation dans son travail. Ce changement s’opère au cours d’un séjour de six mois à Berlin. À partir de ce moment, elle construit des tableaux également fondés sur une recherche coloriste, associée à une découpe de formes – et non plus à un travail gestuel. Le mouvement dans l’œuvre continue de l’intéresser. Il naît cette fois des relations établies entre des formes qu’elle juxtapose ou superpose, dans un jeu de relations blanc / couleur – le blanc n’est jamais un fond – ou des couleurs entre elles. Dans ses tableaux, Shirley Jaffe met en place une véritable pensée visuelle.
Né à Jersey City dans le New Jersey en 1948, Jonathan Lasker commence à peindre à la fin des années 1970, à l’époque de ce que l’on a nommé New Image Painting. Comment continuer de peindre de façon non représentative après l’expressionnisme abstrait ? Comment inscrire une présence dans la toile, sans avoir recours au geste ? Très vite, Lasker adopte face à ces questions une attitude postmoderne. Il écrit : « Je peins le mariage malheureux du biomorphique et du décoratif, du « pinceau chargé » et du géométrique, du psychisme et de la culture populaire. Je veux une peinture qui soit opérative. Je cherche le contenu, non l’abstraction[6]. » Ses toiles des années 2000 sont reconnaissables par leurs associations de surfaces planes et de surfaces utilisant d’épaisses couches de peinture, mais aussi par la façon dont elles mêlent des éléments tracés à la manière d’une écriture automatique et des formes colorées.
Né en 1962 à Dijon, Philippe Richard vit et travaille à Paris. À partir de 1990, il développe une peinture dont on peut dire qu’elle s’articule comme une syntaxe. Les points répétés, les lignes courbes et l’utilisation de couleurs très vives sont autant d’éléments de son vocabulaire. D’emblée, il sort du tableau pour investir l’espace. Ses œuvres récentes associent des motifs de grilles, de lignes et de points colorés, prenant parfois la forme de tondi proliférants. Chez lui, la peinture se propage de diverses manières : à la façon d’une épidémie qui envahirait les murs ou encore sous forme de constructions qu’il nomme ses « linéaires », assemblages de baguettes de bois colorées dans l’espace. Il s’agit pour lui d’entretenir un nouveau lien de la peinture avec son environnement.
Le médium principal de Diana Cooper, née en 1964 à Greenwich dans le Connecticut, est le dessin, appréhendé dans un champ élargi. Elle a dans un premier temps développé un travail de peinture. À la fin des années 1990, elle décide d’abandonner la peinture à l’huile pour des feutres et objets divers. Ses formats s’agrandissent alors, dans une œuvre sensible fondée sur une pratique du dessin qui développe des systèmes faits de réseaux et d’éléments diffractés. Dans toutes ses œuvres, le « gribouillage » (doodling) joue un rôle primordial. Il sert de point de départ à une construction à la fois traitée de manière automatique et parfaitement contrôlée.
Ces quatre artistes se rejoignent par une conception hétérogène de la peinture. Il s’agit chaque fois pour eux de se demander comment peindre, dans des pratiques qui tiennent compte de l’histoire de la peinture et viennent la rejouer au présent. À la suite de discussions menées avec eux, je me suis en effet aperçue que chacune de leurs prises de position était déterminée par une notion historique sur la peinture, sur laquelle ils réfléchissaient ou bien qu’ils détournaient. Afin d’établir une sorte d’état des lieux de leur travail et à travers lui, de présenter une certaine situation de la peinture abstraite aujourd’hui, j’étudierai sous forme d’hypothèse de travail trois notions : l’hétérogène, l’impur, la limite.
Peut-on parler de peintures de l’hétérogène ?
Dans Du cubisme et du futurisme au suprématisme : le nouveau réalisme pictural, Malevitch écrit : « Jusqu’à présent, il y avait le réalisme des choses, mais non celui des unités picturales, des couleurs bâties de manière à ne dépendre ni de la forme, ni de la couleur, ni de leur situation par rapport à une autre unité. Chaque forme est libre et individuelle. Chaque forme est un monde[7]. » De son côté, Kandinsky évoque la présence d’« unités abstraites » dans son travail. Chez ces artistes, la dimension d’unité de l’œuvre devant refléter une harmonie du monde est prégnante. Elle perdure dans une certaine mesure dans l’abstraction géométrique : chez Gottfried Honegger dans sa recherche de l’unité ou chez Aurelie Nemours, qui supprime de son œuvre la forme et la composition pour laisser place uniquement à la couleur dans un carré. Les artistes que j’ai regroupés se situent à l’encontre de cette recherche d’unité de l’œuvre qui devrait refléter une unité du monde. Chez eux, l’hétérogénéité est partout. Ainsi chez Shirley Jaffe, dont les formes découpées, juxtaposées, entrent en mouvement les unes avec les autres et sont puisées dans plusieurs registres.
Dans Criss Cross Center (1991, Frac Bretagne), elle emploie un réseau géométrique, au centre du tableau, qui vient focaliser l’attention du spectateur. « J’établis une sorte de carte de mon travail. C’est contrôlé mais je donne la possibilité de voir avec toutes les différences que l’on peut imaginer », dit-elle. Elle ne réalise pas de dessins préparatoires. Cependant, au cours de la réalisation d’une peinture, elle dessine des schémas ou esquisses sur lesquels sont inscrits des noms de couleurs, et décide de la manière dont elles interagiront les unes avec les autres. Pour autant, peut-on parler d’hétérogénéité dans son travail? Conserver toutes les différences au sein d’un jeu de formes et de couleurs, telle semble la vocation de ses œuvres. Lorsqu’elle décrit sa manière de peindre, elle évoque en outre des éléments qui entrent de manière désordonnée dans le champ de son regard, décrits non pas des signes mais des souvenirs du réel dont elle conserve la singularité.
De son côté, Jonathan Lasker a fait de l’hétérogénéité une sorte de règle dans son travail. Ses œuvres associent des propositions formelles opposées : peinture matiériste et peinture lisse, formes ordonnées et formes gribouillées. Tous ces éléments cohabitent à l’intérieur d’une toile. Dans un entretien, Lasker décrit les trois motifs formels à partir desquels il travaille : les figures, les fonds et les lignes dessinées. À partir de ces trois éléments, il a créé de nouveaux formes, comme ces dessins automatiques ou parties gribouillées qui lui permettent de créer des espaces all over. Un vocabulaire se définit : formes gribouillées, pâtes très épaisses, utilisation récurrente des roses, des jaunes, des verts clairs. À l’intérieur de ces espaces, certaines figures deviennent des motifs récurrents.
Philippe Richard utilise dans son travail des éléments simples comme la ligne, le plan, le point[8]. Il écrit : « À la manière d’une cellule qui possède en elle toutes les clefs et les données nécessaires pour reconstituer un organisme vivant sans pour autant être ou se confondre avec celui-ci, ces peintures ne donnent à voir qu’une partie concentrée d’un tout invisible dans son ensemble mais dont l’existence est prouvée du fait même de l’existence du tableau[9]. » Il procède dans ses toiles par recouvrement, créant des réseaux de lignes qui entrent en relation avec des réseaux de formes, sans que l’un et l’autre élément soient forcément joints. L’hétérogénéité existe dans ses peintures mais aussi dans ses œuvres en trois dimensions. Sous forme de cibles accueillant des flèches comme autant de vecteurs possibles de la peinture, de petits tondi ou de structures linéaires adossées au mur, Richard multiplie les formes données à sa peinture. Il fait de l’hétérogénéité une méthode de création.
De son côté, Diana Cooper invente un dessin entre automatisme et structure. The black one (1997) est un dessin monochrome au crayon feutre de grand format (1997), dont l’artiste parle comme d’une « hybrid installation painting ». L’association de vides et de pleins, de parties évoquant une multiplication cellulaire et de structures linéaires claires se fait dans une logique d’accumulation. Cooper crée des organismes imaginaires au bord de l’implosion. Elle regarde le travail de Mondrian ou de Tony Smith dans la mesure où ceux-ci sont à la fois, selon ses mots, « contrôlés et très humains[10] » et leur intègre des images du réel. Chez elle aussi, l’hétérogénéité est érigée en méthode.
De l’hétérogénéité à l’impureté
L’art pur ou la « pure sensibilité dans l’art » sont des notions développées par Malevitch. « Par suprématisme j’entends la suprématie de la pure sensibilité dans l’art. (...) La sensibilité est la seule chose qui compte, et c’est par cette voie que l’art, dans le suprématisme, parvient à l’expression pure sans représentation[11]», écrit-il. L’adjectif « pur » renvoie au « sans représentation », qui a gouverné la peinture abstraite pendant de nombreuses années. Or pour Shirley Jaffe, « notre monde n’a pas suivi cette idée ». « Nous vivons dans un monde qui n’est pas parfait. L’art parle de cette imperfection », dit-elle. Affirmer cette impureté revient à affirmer une position politique. Cela consiste en effet pour l’artiste à s’inscrire dans le réel et à tenter de rendre compte de la complexité de celui-ci. « Je ne suis pas pure, ajoute-t-elle. Je commence avec l’idée du mouvement et je l’associe à celle de relation qui est non figurative mais sensible. La vision des choses n’est pas parfaite. Comme je suis consciente de faire un tableau, je veux que les choses puissent s’organiser ensemble ». Se situer dans une abstraction « impure », pour Shirley Jaffe, c’est refuser l’harmonie, la concordance de toutes les parties entre elles, dans une organisation où, selon ses mots, « tout est sur la même surface ».
Jonathan Lasker refuse lui aussi la « pureté » abstraite, la non-représentation. Chez lui, la nécessité d’entretenir une relation forte avec le réel est plus affirmée encore. « Je cherche le contenu, non l’abstraction » dit l’artiste, s’inscrivant dans une tradition qui voit dans la peinture abstraite un répertoire de formes. Dans Expressions permanentes, il présente son point de vue de peintre : « Depuis un moment, je suis conscient que mes peintures ne sont pas vraiment abstraites. C’est essentiellement le fait de recourir à un sujet. Non pas au sens narratif, mais en utilisant des aspects de l’abstraction pour leur contenu et en construisant ainsi des thèmes discursifs dans la peinture « abstraite » [12]». Il y a impureté de son travail car assimilation à un langage. Selon lui, les différents éléments d’une peinture composent un discours spécifique, qui consiste à « amalgamer des éléments visuels disparates ». Ses peintures associent des propositions renvoyant à l’histoire de la peinture mais aussi à des domaines de l’histoire de la pensée. Il ajoute : « Je pense que dans les arts visuels, les questions formelles sont les premiers niveaux d’interprétation et d’idées à communiquer. Un grand nombre de mes peintures utilisent un vocabulaire récurrent, des éléments formels récurrents ; j’ai une sorte de catalogue conceptuel[13]. »
« Chaque toile génère sa propre solution. Elle fonctionne de manière autonome mais peut devenir le temps d’un accrochage un système abstrait en tension avec d’autres systèmes, s’attirant, se repoussant, en balance entre équilibre et chaos », écrit Philippe Richard, qui se situe dans une situation hybride : entre une peinture abstraite savante, une imagerie décorative et une réminiscence des cultures populaires ou anciennes. Dans un entretien, il précise qu’il « utilise aussi des motifs décoratifs. Ces motifs se retrouvent dans de multiples civilisations, de lieux ou d’époques très différents[14]. » Il y a impureté de son travail dans la mesure où rien n’y tend vers la perfection. Au contraire, les coulures et les taches sont partout présentes. Ses lignes ne sont jamais tout à fait droites, ses couleurs débordent et coulent et ses systèmes géométriques se grippent. Comme chez Shirley Jaffe, cette position peut être considérée comme politique : il s’agit pour lui de se situer contre les belles images, la peinture lisse, du côté de la saleté, du corps et de la matière.
Chez Diana Cooper, l’impureté s’affirme par une intégration des images du réel dans ses œuvres. Dans le dessin Taughannock (2006), elle introduit la figure clairement reconnaissable d’un papillon, reprise plusieurs fois sur la surface. Fascinée par la vue d’un mobile représentant un papillon dans sa chambre alors qu’elle est en résidence à Harvard, elle photographie son ombre et la dessine. Elle s’aperçoit que Vladimir Nabokov, spécialiste des papillons et chargé de constituer la collection de papillons du Museum of Comparative Zoology d’Harvard, a vécu dans le même immeuble qu’elle. Cette histoire situe l’œuvre dans une forme de narration qui, bien que plus anecdotique que fondamentale, lui procure une épaisseur de sens supplémentaire.
À différents niveaux, l’impureté prend un sens politique. De l’impureté de la surface picturale à celle des médiums composant la peinture ou à l’impureté constitutive de l’œuvre (utilisation d’images), ces artistes ont une conception de leur travail qui se situe à l’opposé d’une recherche d’harmonie. Cet engagement s’accompagne le plus souvent d’un dépassement des limites de la peinture.
L’abstraction au-delà d’elle-même : y a t-il dépassement des limites de la peinture, ou déplacement des limites du tableau ?
Un tableau, pour Shirley Jaffe, rend compte de ce qui agit dans sa vision. Les visions, dit-elle, ne sont pas parfaites. Certains éléments viennent les parasiter. Cependant, tout se passe à l’intérieur du tableau. Plutôt que de déplacement des limites de la peinture on peut parler chez elle de déplacement de son centre. C’est par le mouvement, par les relations non-hiérarchiques des formes entre elles que la question de la limite peut se poser. Il n’y a pas déplacement des limites mais déplacement du lieu de gravité de l’œuvre, qui est sans centre, surface vibrante.
Chez Jonathan Lasker, le déplacement a lieu dans le temps de la création, dans ses étapes. L’artiste procède en effet par réplications de formes : il part de petits dessins griffonnés dont il agrandit progressivement les formats, en reprenant dans ses toiles la structure définie initialement. À chacune des étapes, il travaille l’adaptation à un espace. Que se passe-t-il lorsque l’œuvre s’agrandit ? Lorsqu’on doit par conséquent ajouter une plus grande quantité de matière dans les parties « matiéristes » ? Comment la composition évolue-t-elle lorsqu’elle adopte ces différentes échelles ? Tout répond chez lui à des considérations concernant la perception et l’intuition : son travail consiste en une adaptation sensible à un espace. Cette poétique de la réplication implique une autre forme de déplacement du centre de l’œuvre, qui n’est pas unique mais possiblement rejouée dans des dimensions chaque fois différentes.
De leur côté, les œuvres de Philippe Richard et de Diana Cooper ont véritablement quitté les limites du tableau. Richard déclare en effet : « Je peins des toiles dont l’événement pictural sort de l’espace peint [15]». Ses peintures quittent l’espace peint pour envahir les murs de l’exposition. Elles partent par exemple d’un petit tableau dont il poursuit les lignes sur le mur. Dans d’autres projets, comme celui qu’il a mené à Saint-Louis aux États-Unis en 2006 ou à Lacoste en France en 2005, ses « linéaires » courent sur des kilomètres de long, parcourant jardins, arbres, autant d’éléments traversés par la peinture, transformés par elle.
L’exposition de Diana Cooper au Moca de Cleveland s’intitulait « Beyond the line » : l’expression signifie « au-delà de la ligne » mais évoque aussi l’idée d’un franchissement des limites. L’artiste développe une pensée de la ligne, du réseau et de l’élément diffracté. L’association de ces éléments mène à la création d’un langage entre sensation et construction intellectuelle. Elle se situe toujours dans un entre-deux entre des médiums et des esthétiques opposés.
Hétérogènes, impures, questionnant les limites de la peinture et du tableau : ces quatre œuvres se positionnent, à des degrés différents, sur ces quatre points. Derrière ces conceptions, aucun refus ni opposition à une histoire de la peinture abstraite. Au contraire, ces artistes s’inscrivent de manière précise dans une histoire de l’abstraction et plus généralement, dans une histoire de la peinture et des formes. Ils se situent également dans leur réel et dans leur temps et en réinventent les formes. D’où vient ce type de peinture hybride ? Il vient d’une histoire abstraite, de la peinture des pionniers de l’abstraction. Mais il s’inspire aussi de la peinture de Matisse. Une grande exposition au musée Matisse du Cateau Cambrésis, organisée par Eric de Chassey, a rendu compte de l’influence de Matisse sur les peintres abstraits américains. Éric de Chassey a montré combien l’influence de Matisse était importante sur les peintres abstraits américains (Pollock, Rothko...). Elle l’est également pour Shirley Jaffe, Jonathan Lasker, Philippe Richard, qui a exposé au musée Matisse puis dans une exposition autour de Matisse a Brésil en 2009, et Diana Cooper.
Le collage, la rapport à l’ornement, les découpages de formes pour Shirley Jaffe, l’unification de la ligne et de la couleur mais aussi le rythme, la simplification de formes menant à de grands aplats de couleur sont autant de notions matissiennes. Georges Duthuit évoque au sujet de la peinture de Matisse « un art qui revendiquerait pour sien l’espace compris entre le spectateur éventuel et le tableau, exactement au même titre que l’espace auquel il est fait allusion dans les limites du cadre. » Cette conception peut aller jusqu’à la réalisation de véritables environnements, comme chez Philippe Richard et Diana Cooper. Duthuit écrit enfin à propos du « projet décoratif » de Matisse dans un article publié en 1949 : « Il faut recréer cet espace perdu où la personne et son voisinage concret sont recomposés, par un effort qui est à la fois mouvement de création et mouvement d’organisation totale de l’espace désordonné, chaotique, paradoxal et lacéré, dans lequel nous nous mouvons habituellement[16]. » Cette ouverture des œuvres à l’espace et à l’environnement sont constitutives d’une vision contemporaine de l’art, présente notamment chez les artistes précédemment cités. Marion Daniel


[1] Jonathan Lasker, Expressions permanentes, Paris, Daniel Lelong éditeur, 2005, p. 16-17.
[2] Ibid., « Les sujets de l’abstrait », p. 47.
[3] Nous renvoyons ici à l’exposition + de réalité organisée par six artistes, E. Ballan, N. Chardon, J.-G. Coignet, C.-J. Jézéquel, P. Mabille et V. Verstraete en 2008 au Hangar à bananes à Nantes.
[4] Kandinsky, Regards sur le passé, 1913-1918, Paris, Hermann, 1974, p. 154-155.
[5] Les citations de Shirley Jaffe dans ce texte sont tirées d’un entretien avec l’auteur mené en décembre 2010.
[6] Jonathan Lasker, op. cit.
[7] Kasimir Malevitch, Du cubisme et du futurisme au suprématisme : le nouveau réalisme pictural, 1915, in Écrits, Paris, Gérard Lebovici, 1986, p. 198.
[8] Philippe Richard a participé à l’exposition « Point, ligne, plan », organisée par Éric de Chassey à la galerie des Filles du Calvaire en 2000.
[9] Philippe Richard, in Peindre ?, Enquête et entretiens sur la peinture abstraite, galerie Jordan et Devarrieux, 1996, p. 117.
[10] Beyond the Line, The Art of Diana Cooper, Museum of Contemporary Art, Cleveland, 2007, entretien avec Barbara Pollack, p. 83.
[11] Cité par Michel Seuphor, in L’art abstrait, vol. 1, 1910-1918, Paris, Maeght, 1972, p. 32.
[12] Jonathan Lasker, op. cit., p. 16.
[13] Jonathan Lasker, entretien avec Josefina Ayerza et Lynn Crawford, http://www.lacan.com/lacinkIII8.htm.
[14] Philippe Richard, texte de présentation de son travail, in catalogue de l’exposition Matisse Hoje, Pinacothèque de Sao Paulo, 2009.
[15] Philippe Richard, Peindre ?, op. cit., p. 117.
[16] Georges Duthuit, cité par Éric de Chassey, « L’effet Matisse : abstraction et décoration », in Ils ont regardé Matisse. Une réception abstraite Europe / États-Unis 1948-1968, Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis, Gourcuff-Gradenigo, 2009.

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