vendredi 8 juillet 2011

François Schmitt. Le monochrome qui, basculant, devient cabane.


Texte paru sur le site www.poptronics.fr à l'occasion de « Eternal now », exposition de François Schmitt du 11 février au 28 mars 2009 à la Villa des Tourelles, Nanterre.
Les pièces de François Schmitt ne ressemblent à rien de connu. Sinon à nouvelle vision du vitrail ou à un monde vu à travers la lanterne magique de Proust. Laisser passer, refléter, absorber la lumière, pénétrer dans la peinture, traverser la couleur : c’est ce que propose cet artiste né en 1959 dans son exposition à la galerie Villa des Tourelles à Nanterre, qui instaure une dialectique de la forme et de la couleur fondée sur l’absorption, ou non, de la couleur par les tissus. Dans l’entrée, il installe un sas en forme de cabane rouge orangé. Donc pour commencer, l’œil s’imprègne de la couleur. Déjà, la lumière passe à travers un filtre coloré, devient couleur, se réfléchit au sol sur une surface gris mat, et envahit l’espace. La peinture a débordé du cadre, se fait transparence et reflets. Puis trois cabanes, rose, orangée, bleue, de trois tailles différentes, sont disposées pour créer un espace où tout est suspension, état de flottement. Je révise la proposition de départ : ces pièces ressembleraient à des environnements de James Turrell, si James Turrell utilisait uniquement la lumière du jour.
Deux échelles et trois cabanes
Pour François Schmitt, il y a une échelle pour l’exposition, qui serait l’endroit où l’on peut créer de véritables espaces, voir à travers des filtres, marcher dans la couleur, et une échelle de la table de travail, ou de n’importe où, chez lui ou ailleurs, pour les objets minuscules. À Nanterre, les deux échelles s’assemblent et la lumière unifie tout. Elle est rasante, dans l’espace, sur les murs, et éblouissante dans cette pièce-cabane rose intitulée Rosebud, sans doute pour cette couleur rose qui, en sortant, nous fait voir en vert, et aussi pour l’objet étrange, petite boule de plastique, suspendue du plafond.
Entre minimalisme et bricolage, les pièces de François Schmitt parlent de variations infimes. Dans la pièce bleue, La maison d’Héloïse – la petite fille de la BD de Kay Thomson’s – un placard renferme de petits objets faits de plumes, de dépôt de copeaux de crayons taillés, de boîtes de camembert, de peintures sur carton, de planches à découper, de ronds de carton… proches d’assemblages à la Richard Tuttle, qui montreraient un morceau de bois et trois bouts de ficelle tenant par la force de deux punaises. Chez les deux artistes, la puissance d’évocation est la même. Sur l’une des étagères, deux morceaux de bois justement : une seule brindille brisée en deux qu’il peint en bleu pour refléter le bleu du ciel. Ce sont les histoires qu’il se raconte.
Pourtant, ces objets n’ont rien à voir avec de l’art brut. François Schmitt est toujours dans une recherche d’apesanteur, d’équilibre et de suspension, supprimant les points d’attaches, les endroits où ça porte, comme pour ces nombreux carnets disposés sur trois murs de la galerie, placés sur des pupitres de couleur et accrochés au mur, comme des papillons pointés dans une boîte par quelque scientifique. L’artiste travaille ses formes en remplissant au feutre les cases de carnets de calligraphie chinois et japonais. Ces carnets sont pour lui comme un journal – chaque dessin est daté, quelques phrases sont inscrites –, pratiqué aussi machinalement que possible. Car pour François Schmitt, c’est l’automatisme du tracé, les combinatoires de couleurs recommencées chaque jour qui permettent d’ « arriver à voir ».
La tour de Tatline
La lumière est intense ce jour-là et le châssis réapparaît derrière chaque toile colorée. « Être inondé dans la couleur », c’est ce qu’il vise, lui qui a beaucoup regardé Dan Flavin. Toujours dans le placard d’Héloïse, une plume et un petit morceau de papier découpé en cercle forment une tour de Tatline. Chaque fois, c’est la qualité de la couleur et du matériau, la transparence des toiles et les reflets bougeant partout dans l’espace, qui créent l’évocation. C’est ce qui fait que des pans monochromes de toile de coton placés les au-dessus des autres en formant un léger mouvement de bascule créant un angle, et séparés par un pan de mur de feuilles d’aluminium, deviennent cabane, ou même demeure. C’est le titre qu’il donne à cette pièce : La demeure : uni sans être ensemble.
Marion Daniel
25 février 2009