dimanche 2 décembre 2012

Exposition Perceptions vives à La Couleuvre, Saint-Ouen


PERCEPTIONS VIVES
Chloé Dugit-Gros, Morgane Fourey, Simon Nicaise, Eva Nielsen, Benoît Pype, Marion Robin.
Commissaire : Marion Daniel
 Du 23 novembre au 13 janvier 2013.
Vernissage le 23 novembre 2013.

Dans son Traité de la nature humaine, David Hume distingue les impressions ou perceptions vives, des idées, qu’il considère comme des images affaiblies du réel. Dans Perceptions vives, il ne sera pas question d’idées mais de perceptions plus aiguës du réel : regarder ce que l’on ne voit pas ou ce qui ne se montre pas, désigner le plus infime. Perceptions vives invite à détourner et à décaler les visions trop figées du monde : jouer du trompe-l’œil, introduire le simulacre, oser l’illusionnisme, autant de façons de regarder le monde de façon sensible, d’en proposer une autre lecture.

Aux trompe-l’œil, architectures impossibles et horizons brouillés des peintures d’Eva Nielsen répondront les faux semblants des volumes de Morgane Fourey et les Vrais-faux semblants de Marion Robin : détournements de formes et jeux des matériaux chez Morgane Fourey, développement à l’infini d’un motif à peine visible de l’espace chez Marion Robin. Il sera aussi question de jeux d’échelles, de focus sur le minuscule ou le rebut. Ainsi dans les vidéos d’improvisations de Chloé Dugit-Gros ou Prestidugitations, dans lesquelles ses mains construisent à l’aide d’objets trouvés des paysages fugitifs ou des dessins accélérés ; chez Benoît Pype également, qui invente de vastes dispositifs visuels à partir de petites particules trouvées dans des fonds de poches. Enfin, Simon Nicaise nous initiera aux chemins qui ne mènent nulle part, aux tas suspendus et autres objets absurdes.

Les artistes réunis dans Perceptions vives appartiennent à une même génération. Tous invitent à des décrochements, à une approche sensible du monde. Tous proposent de penser le monde visuellement.

Marion Daniel

info.lacouleuvre@gmail.com
15 bis rue Parmentier 93400 Saint-Ouen
Métro Garibaldi ou Mairie de Saint-Ouen ligne 13 ou Vélib Mairie de Saint-Ouen
Ouvert les vendredis, samedis, dimanches de 15h à 19h et sur rendez-vous.

dimanche 25 novembre 2012

Claude Faure. Les stratégies du renversement.

Texte publié dans Claude Faure, Editions Bernard Jordan, 2012.


Accumulateur atavique. C’est ainsi que Claude Faure se désigne lui-même. Constructeur de listes, collectionneurs d’images et d’objets, de cartes et de mots. À chaque ensemble d’œuvres, il donne un nom : série blanche, réserves, boîtes, géographies, collections / images, collections / objets, météos, typographies, autobiographie, hors gabarit. Des catégories dans lesquelles il installe objets, sculptures, textes et jeux de mots. À l’origine de son travail, des principes de tri, de classement voire de taxinomie, comme dans les œuvres intitulées « Météo » dans lesquelles il est aussi question de temps (time et weather). Dans cette série, le système de comparaison s’organise suivant deux colonnes, l’une annonçant les prévisions, l’autre consignant ce qui s’est vraiment passé. Chez lui, plusieurs systèmes de représentation se répondent et se stratifient. Pour l’artiste, la force esthétique, la plasticité des cartes météo ou de géographie ne s’oppose pas à leur contenu scientifique. Au contraire, elle est incluse dans celui-ci. « Il y a plusieurs niveaux dans la représentation scientifique, précise-t-il[1] : de l’équation différentielle à la transcription en langue naturelle. » Ce second type d’approche, plus sensible, est celui qui l’intéresse. Il vise en effet l’invention d’une sorte de langue naturelle qu’il puisse traduire dans ses propres supports et matériaux, par ses propres mots ou signes. Associer une intuition plastique à des données scientifico-techniques fait partie des aspects récurrents de son travail, au sein duquel l’entre-deux semble érigé en méthode.
Claude Faure est de ceux dont le parcours n’a jamais été linéaire. Un parcours guidé par des obsessions : viser une « somme inachevée de procédés aboutissant à un système à tiroirs » dit-il parfois ; soit un système de pensée – pour décrire ces systèmes mentaux pouvant prendre une forme visuelle, l’anglais a le terme de mind map – pouvant ouvrir sur autant de réalisations que l’artiste a d’intuitions tout à la fois plastiques et textuelles. Un beau programme pour toute une vie. Après ses études de philosophie, il choisit dans un premier temps la littérature. Il rencontre Maurice Nadeau, intéressé par l’écriture de l’une de ses nouvelles. Il a lu les auteurs américains des années 1930 tels que Dos Passos, Faulkner, Steinbeck. Puis il décide de s’engager « dans la vie ». Il opte pour le monde réel, en s’attaquant au travail dans ce qu’il a de plus concret, parfois même de plus âpre. Durant cette période, il cherche le « pourquoi de la philosophie ». Il entre chez Renault dans un service dans lequel il est amené à observer la façon dont le personnel travaille dans l’entreprise. Puis il rejoint un centre de formation d’ingénieurs, filiale de Renault. Avec son ami Jacques Bonnivard, il y monte également un atelier de sérigraphie, découvre la typographie et réalise des affiches. Parallèlement, il fait des dessins, des croquis, parfois des caricatures dont certaines sont publiées dans la revue Candide. Il entre ensuite à la Cité des Sciences et de l’industrie au sein de laquelle il monte une section autour de l’art et de la science et est chargé de constituer une collection d’art contemporain. Dans une attitude toujours très lucide vis-à-vis de ce qui l’entoure, Claude Faure s’intéresse aux frontières et frottements entre les attitudes et les choses. Il traque les nuances, les endroits où deux univers se rencontrent, parfois se chevauchent. Durant ces années, il rencontre Piotr Kowalski et Piero Gilardi avec qui il crée l’association Ars technica. Il se lie notamment à Jean Dupuy et Jean-Christophe Bailly. Sa première exposition importante a lieu en 1986 chez Denise René, puis il expose chez Lara Vincy dans les années 1990 et 2000, enfin chez Bernard Jordan en 2008. Un parcours qui ne s’arrête à aucun moment mais qui vient, à chaque période de sa vie, s’enrichir, se nuancer, se préciser dans le texte et dans l’objet.
Pour lui, l’expérimentation est fondamentale et c’est sans doute sur ce point que son intérêt pour la science et sa pratique artistique se rejoignent. Il se considère un peu comme un chercheur. « Ce sont des expériences. L’expérimentation est la vérification d’une hypothèse au départ. Cela y ressemble parce que je me suis fabriqué un système. Cela s’apparente à un travail de chercheur », dit-il évoquant son travail. Rassembler, trier des éléments à partir desquels il construit un rapport entre le sens, la forme et la matière, telle pourrait être une définition du « système » ou de la méthode de ses œuvres, qui entretiennent toujours un rapport étroit avec le langage. « Je crois qu’en faisant cela je prends une double revanche : la privation du dessin et de la peinture et celle de la littérature », dit-il aussi. Ces pièces ne sont ni des textes, ni des images mais quelque chose à mi-chemin de l’un et de l’autre, une entité qui fabrique son sens au croisement des deux catégories. Comme un poète, Claude Faure traque le sens au croisement de plusieurs registres, de plusieurs voix, dans les lieux du renversement et de l’indétermination. Il transforme l’expression connue et galvaudée en une trouvaille plastique et sensible, grâce à un regard neuf porté sur le mot. Des aphorismes aux œuvres dans lesquelles un mot inscrit ou un titre en font basculer le sens – je pense ici aux Dessous de table inscrits, comme il se doit, sous une table ronde, qui sont visibles au sol par simple renversement des lettres dans un miroir – le langage est ce qui se retourne, se prend au pied de la lettre, se déjoue, se renverse.

Autobiographie

Mais le langage, chez Claude Faure, est aussi ce qui construit, se forge, se façonne. Il n’est pas question ici, comme on ne l’entend que trop aujourd’hui, de se construire une identité. Claude manie trop la nuance pour savoir qu’il n’en existe jamais une, mais de nombreuses. Ce qu’il construit en revanche, ce sont des histoires, des vies, des liens avec ceux qui l’entourent, qu’il aime ou a aimés. C’est le cas dans une œuvre très touchante intitulée Éloge de Marie Limousin. Entre le répertoire et la charge affective et personnelle très forte, l’œuvre présente un collage des certificats de travail de Marie Limousin, sa grand-mère, employée de maison, témoignant de son activité chez différentes personnes tout au long de sa vie. Tantôt Marie est désignée comme cuisinière, tantôt comme bonne à tout faire. Propre ou soignée, les adjectifs la concernant sont saisissants. Ce qui reste de la vie d’une femme concerne sa propreté, son dévouement, sa manière de se tenir en société. Dans le même temps, rangée sous un pupitre, une chaine hifi diffuse la lecture de ces certificats de travail. Sur un ton très froid, une femme avec un léger accent nordique lit l’ensemble de ces textes qui résument une vie. Signe de son intérêt pour les registres, l’œuvre Les receveurs et les receveuses reprend quant à elle un annuaire des Postes trouvé également dans sa famille, soulignant simplement les noms des postières d’une certaine catégorie. Le principe se situe entre le système absurde de classement et la mise au jour d’une réalité sociale et politique de la place des femmes dans la société d’après 1914. Si Hanne Darboven et ses listes sont évoquées, c’est à un registre beaucoup moins conceptuel que celui du travail de cette artiste que se réfère Claude Faure. Comme chez Darboven, ses listes fonctionnent comme des « indices » de lecture. Cependant, lui ne vise en aucun cas la transposition plastique d’impressions glanées au cours d’une vie[2]. Pour lui, les dictionnaires et les listes installent le langage dans une densité et une masse proprement physiques, visuelles. Les mots ont une matière qui peut influer de façon sensible sur leurs significations. C’est ce qui le retient avant toute chose dans le langage.
Autobiographique par son titre, l’œuvre intitulée Autoportrait est constituée d’un système de miroir placé derrière une première vitre permettant de lire à l’endroit le mot « Autoportrait », inscrit sur la surface du premier écran. L’artiste opère ainsi un renversement double du langage, qui deux fois inversé retourne à sa situation initiale, à ceci près que celle-ci est mise à distance par un écran. Sur un blouson usé tant il a été porté par lui, il appose la mention « vache enragée ». L’adjectif lui sied peut-être bien mais, comme à son habitude, il en déplace légèrement le sens. C’est au simple support, au blouson qu’il s’adresse. Nul besoin de chercher plus loin. L’une de ses très belles œuvres, enfin, s’intitule La femme de ma vie 1978-2009. La photographie d’un visage de femme repris à des centaines d’exemplaires, comme sur une plaquette de timbres, lui permet de former les lettres de la phrase « La femme de ma vie », jouant ainsi sur un principe de mise en abyme et de redoublement de l’image par le texte. Comme dans beaucoup d’œuvres de Claude Faure, ce qui est dit à l’état de texte l’est également par l’image, ou inversement. C’est dans le va-et-vient de l’un à l’autre que se joue tout son travail. Sans jamais se figer dans une forme textuelle ou plastique.
Oxymores matériels – La boîte
Dans la catégorie des oxymores concrets, matériels, il écrit un Défense d’afficher au moyen de dizaines de clous sur des surfaces immenses. Dans celle des redoublements visuels, il inscrit « Nous sommes peu de chose », en tout petit, en blanc sur un support blanc. Tous les éléments à partir desquels il construit sont travail existent dans des boîtes dans lesquelles il collectionne toutes sortes d’objets, d’images. La boîte est peut-être la forme la plus caractéristique de son travail. La boîte comme réceptacle à souvenirs, à objets, à archives, à documents, à idées, mais aussi la boîte contenant du vide. À une période de sa vie, il a exposé des séries de boîtes de diapositives disposées par colonnes, choisies à la fois pour leur aspect plastique et sémantique – c’est la matière visuelle, le support de l’image qui s’accumule comme une archive. Ainsi dans Calme bloc, où il utilise de multiples boîtes jaunes de diapositives ratées devenues des images invisibles. Ce qui l’intéresse ici, c’est la matérialité du support, sa présence physique, tandis que l’image a disparu, s’est désagrégée avec le temps.
À ces images, Claude Faure dit qu’il « dresse un tombeau en gloire à contresens, à rebrousse-poil ». « Le langage, c’est la parole, ajoute-t-il, qui n’a comme matérialité que la colonne d’air. Dès qu’on passe à l’écrit, il faut l’imprimer, avec la matière, sur la matière. » Afin d’éviter toute évanescence ou immatérialité du langage, il incarne les signes ou les « replante », comme il le dit parfois, dans un support. Car le langage, pour lui, est une matière qui se façonne et se pétrit, à la façon d’un plasticien. À l’aide de couleurs, de formats, de matières multiples. En jetant toujours un œil sur les significations jamais fermées. De sorte que chaque pièce soit comme la concrétisation ou la preuve de sa matérialité.

Ignorances en réserve et stratégie de poète

Après dissipation des brouillards matinaux, les lettres sont enfin lisibles ; à presqu’ il manque un e. Dans Less is more, « more » s’écrit en réserve ; pour les espèces en voie de disparition, les lettres s’effacent. Les riens et les ignorances en réserve, les demi-mots en demi-teintes, le mot « minimal » sans les voyelles, l’absence de marquage écrite ton sur ton, tout cela se côtoie chez Claude Faure dans ses objets, sculptures, œuvres sur toile ou cédérom (La dérive des continents, 1990-2008). Deux livres existent pourtant, dont les titres très choisis sont respectivement Pas un mot plus haut que l’autre (1991) et Les minimes (2007). Comme si tout ce qui trouvait à s’écrire, chez lui, ne pouvait se faire que sur le mode de la litote. Dire le moins sans jamais chercher à dire le plus. « Quand je ne me force pas, je me retiens. J’en fais un système esthétique », dit-il. D’un côté, donc, les textes du recueil Pas un mot plus haut que l’autre penchent du côté de l’absence, du non-dit ou de l’à moitié dit. De l’autre, ses mots sont envahis par la couleur. Ainsi dans la sérigraphie La couleur des mots, dans laquelle les mots sont à énoncer au même titre que le nom des couleurs dans lesquels ils sont écrits. Sans distinction de catégorie entre des mots possédant un sens et des éléments de nature plastique et visuelle (taille des mots, couleur de ceux-ci).
Entre tentation du concept et séduction de la couleur, Claude Faure se fraie une voie à part dans le champ de l’art contemporain. Tordre le langage, c’est à quoi tend la Dérive des continents. Dans un système interactif, il invite le spectateur ou utilisateur de son cédérom à venir avec sa souris titiller le mot là où il peut être susceptible de se modifier. Dissiper les brouillards matinaux en éclaircissant progressivement l’image, agrandir et bomber le w du mot Wonderbra et lui faire jouer ainsi l’effet escompté, un train peut en cacher… un autre et dans la manière dont il s’inscrit à l’écran, percuter cet autre qui était dans un premier temps caché. Mis en mouvement dans cette écriture interactive, le langage est également mis en branle, pris à son propre piège, tourné intégralement en jeux de mots et mots d’esprit. À la question de la difficulté à exprimer les choses par le langage, Claude Faure, répond : « Impassible n’est pas froncé » ou encore « à l’impossible nul n’est ténu[3] ».
Éloge de l’italique (1989)[4], l’une de ses œuvres emblématiques, est un objet-livre évoquant la collection blanche chez Gallimard, dont la forme est légèrement penchée. Dans un esprit tautologique, il incline l’objet « italique » afin de lui rendre hommage. Faire coïncider la forme et le sens, la matière et la signification, c’est à quoi tend le système qu’il met en place. Utiliser l’italique, c’est voir le monde de biais, mais aussi travailler sur le principe de la citation, des paroles rapportées et, dans le cas de Claude Faure, légèrement modifiées. Sa stratégie est celle d’un poète car c’est le langage qui gouverne la forme, et la forme qui à son tour modifie le langage. Imbriquer l’un et l’autre, ne plus considérer que dire et figurer sont deux actions antinomiques, c’est ce qui fait de ces oeuvres des lieux de réflexion particulièrement vivaces sur le lien entre le texte et l’image, dans la mesure où l’un ET l’autre sont modifiés, transformés. Il sait que les choses peuvent à peine se traduire en mots.
« Je pars de la constatation qu’il n’y a pas de perception brute. La perception sous-entend toute une série de connaissances qu’on a engrangées. Quand on voit une réalité, c’est comme s’il y avait tout un tas de plans superposés plus ou moins transparents qui nous approchent de la réalité perçue. C’est un peu comme sur une carte de géographie. Il y a des cartes muettes et des cartes renseignées. Une carte est renseignée par du langage, de l’écrit », dit-il. Si les cartes présentent un tel intérêt pour l’artiste, c’est précisément dans leur capacité à être regardées à la fois comme de purs supports visuels (muets) et comme des éléments parlants, qui nous renseignent sur l’état d’une partie de l’univers et construisent notre rapport au monde. Dans son travail, aucune de ces deux données ne prévaut sur l’autre. De même que le langage ne se donne jamais de manière abstraite, sans son support qui a une existence matérielle, un document visuel peut se lire à la manière d’un texte. C’est dans cette latence, dans l’expérience dialectique qui s’instaure entre ces deux données que se situe tout son travail. Entre des mots à voir et des formes à lire.

Pseudo-encyclopédies et Géographies

Dans les Géographies, il applique un principe de pseudo-gravitation. Il adopte une règle de disposition de parties de cartes géographiques associées dans de nouveaux ensembles visuels, qui consiste à observer une gradation s’organisant suivant des courbes de densités de couleurs et de formes ; de la couleur la plus lourde à la plus légère, de la plus foncée à la plus claire. Pour lui, le clair – le blanc qui correspond aux zones non forestières –, plus léger, se trouve en haut des cartes, tandis que le foncé (le vert ou le noir) est plus lourd et tombe au fond, en bas des pages. Voici ce qu’il dit au sujet de cette loi scientifique : « Pour moi, le domaine scientifique possède une poésie infuse. Ce que la science a apporté, on l’assimile sous une forme poétique dans notre perception de notre environnement. Le substrat scientifique reste un socle, qui a sa saveur. » Retrouvant ainsi des préoccupations proches de celles de son ami Piotr Kowalski, il s’intéresse à la force plastique et graphique pouvant émaner de cartes de géographies qu’il a redécoupées et disposées suivant des courbes de densité de couleurs et de formes, redessinant des cartes dont les lignes nouvelles présentées de façon aléatoire sont autant de territoires imaginaires. « C’est un évitement, c’est ma façon de faire de la peinture sans en faire. »
Sur un mode proche de celui développé dans les Géographies, il développe ses Pseudo-encyclopédies, de grands panneaux sur lesquels il classe des images suivant leurs propriétés physiques (de la plus claire à la plus foncée, du plus étroit au plus large, etc). Peu importe le mode de classement, pourvu qu’il en fasse le choix et qu’il s’y tienne. Classer en dépit de la logique. Classer en respectant la nature des supports.

Parti pris des signes

« Ce qu’il y a de fascinant dans le langage, c’est sa polyvalence. La même intonation permet de dire tout et son contraire. Cela rejoint l’expressivité. On peut aller vers le contradictoire et vers le néant, la négativité », dit encore Claude Faure[5]. S’il était écrivain, il intitulerait son ouvrage le Parti pris des signes. Il s’intéresse en effet beaucoup aux stratégies que Francis Ponge met en œuvre dans ses textes. L’artiste a beaucoup étudié la « Méthode » de l’écrivain, mais lui part du mot pour le transformer en un objet, entretenant ainsi une sorte de cousinage inversé avec le poète. Comme Ponge, il utilise très peu de mots en prêtant la plus grande attention à leur sonorité. Ce qu’il semble viser, c’est la quantité d’absence qu’ils peuvent exprimer. En détournant la formule de Francis Ponge « Parti pris des choses égale compte tenu des mots », on pourrait dire que chez Claude Faure, « Parti pris des choses égale compte tenu des mots et des images », sans que l’un prévale jamais sur l’autre. « Je ne suis ni linguiste ni sémioticien, dit-il cependant. Un signe est quelque chose qui est mis pour autre chose. La peinture est mise pour elle-même, pas mise pour autre chose. Il est inadéquat de parler du langage pictural. Ce qui m’intéresse, c’est que ce signe qui est mis pour autre chose, j’essaie de le coincer en lui-même, pour lui-même ». Ainsi, dans un cube en plomb il enserre les lettres blei frei. En allemand, « blei frei » signifie « sans plomb ». L’expression est donc deux fois enfermée, puisque la nature de l’objet – en plomb – se trouve à l’inverse de sa signification.
Puisqu’il est plasticien, Claude Faure utilise des objets. Dans le rapport conflictuel qu’il entretien avec eux, il va parfois jusqu’à les détruire. Dans une exposition organisée à la galerie Jacques Donguy à laquelle participait Jean Dupuy, ce dernier avait inscrit la phrase : « Caisse que j’ai fait ? Caisse que je n’ai pas fait ? ». Cette phrase était devenu le point de départ d’une œuvre de Claude Faure qui, prenant son ami au mot, s’était emparé du poème « Le cageot », de Francis Ponge. Concevant une installation, il avait imprimé le poème et  placé sous le texte un cageot brisé. Par un tel acte, l’artiste appliquait les termes du poète « à la lettre ». Dans le poème, Ponge écrit en effet : « Agencé de telle façon qu’au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. » Il termine en parlant de cet objet « sur le sort duquel il convient de ne pas s’appesantir longuement ». Entre l’interprétation littérale et la traduction en objet, Claude Faure ne choisit pas : il donne à ses œuvres, qui sont chaque fois le résultat non seulement d’actes physiques, mais d’une attention très vive à la plasticité des formes, une dimension sémantique. Il joue encore avec Francis Ponge et son Parti pris de choses en présentant trois planches de bois portant le bandeau rouge des éditions Gallimard portant la mention « Ponge », auxquelles il donne le titre de Trois choses. Le nom de l’auteur se substitue au titre du livre, qui lui-même devient un simple objet, une chose. Ce sont ces renversements permanents qui fondent son travail. Un livre sans texte. Un livre-objet. De la même façon, il prend trois exemplaires du livre de Jean Echenoz, Nous trois et les installe côte à côte sur une planchette de bois, les instituant ainsi en œuvres. Cette fois, le texte n’est pas évidé, ni effacé, mais sa seule existence reste celle du titre. Redoubler le sens du mot dans l’objet, exacerber l’image propre d’une chose par le langage : lorsque Ponge dit qu’oiseau, pour lui, devrait s’écrire avec un v (oiveau), afin de donner à voir la forme de celui-ci lorsqu’il vole, il regrette que la langue et la forme du langage ne puisse davantage s’infléchir l’un l’autre. Claude Faure, lui, donne au langage une vraie matérialité. Il le tord en objet. C’est dans le support que s’exprime une idée. Pour lui, il s’agit de « replanter les signes dans un matériau, dans une infinité de matériaux ».
Bien qu’il réfute le principe de hasard et s’oppose en cela à la démarche de Raymond Hains, Claude Faure et Hains ont une certaine parenté d’esprit. « Je prends les choses au pied de la lettre pour mieux retomber sur les miens », disait ce dernier. Le travail de Claude Faure se situe également au pied de la lettre : une lettre qui se renverse s’il le faut, qui disparaît (« presqu »), s’efface ou apparaît progressivement (« Après dissipation des brouillards matinaux »), pour mieux faire apparaître le sens. Chez lui, le sens devient plastique. La traduction de l’idée se fait en couleur et en forme. Dans ses œuvres, l’artiste utilise très fréquemment des stratégies du renversement. S’il regarde le monde de biais, Claude Faure le regarde aussi par-dessous, par-dessus, en position inversée. De là vient l’étrangeté de ses maximes, qui ne sont pas simplement des sentences brillantes ou amusées, mais de véritables renversements du sens. 

The less you see, the more you say

L’une de ses séries d’œuvres importantes s’intitule Série blanche. Entendez par là un ensemble de toiles sur lesquelles il inscrit un mot ou un texte en blanc sur blanc, ou parfois en réserve, en perçant ou en ouvrant le support. Le blanc est ce qui se trouve entre les mots, entre les lettres et entre les formes. C’est aussi la blancheur mallarméenne, « l’absente de tout bouquet », la blancheur d’une fleur simplement désignée par son manque, non représentée. Le blanc joue inévitablement son rôle symbolique, presque symboliste de pureté. Il fait signe vers la poésie, vers la blancheur de la page. Il est aussi ce qui s’installe dans l’entre-deux des formes afin de leur donner sens.
« Le démarrage, la source de la Série blanche est une réflexion sur le blanc, sur le fait qu’il n’y a pas deux blancs identiques, comme à la limite il n’y a pas de blanc pur dans notre environnement quotidien, dit-il. Ce sont plutôt des gris plus ou moins clairs. Il y a le croisement de deux types de considérations : la question qu’est-ce qu’un blanc ? Et le blanc comme manque. Avec comme exemple massif l’expression allemande de Goethe : « Mehr Licht » : davantage de lumière ou « Plus blanc que blanc. » » Dans une œuvre telle que L’œuvre ouverte, l’expression est écrite en français et en italien (Opera aperta) en ménageant des ouvertures ou des trous à l’endroit des o ou des e. Le mot est ainsi ouvert, et l’œuvre avec lui. Elle insiste sur le creux, la réserve. La référence à Lucio Fontana est explicite. Pour Claude Faure, il s’agit à nouveau de mettre en péril ou d’attaquer le support. Ouvrir l’œuvre en l’enserrant dans un ensemble très précis de références contemporaines, telle pourrait être une autre définition du travail de l’artiste. « Je me sens très inséré dans le contemporain, avec beaucoup d’influences », avoue-t-il.
Ouvrir l’œuvre, c’est aussi penser le langage dans son lien avec un support qu’il s’agirait de modifier, de travailler. C’est le cas dans la série des Étagères ou des Bibliothèques. Évidés, vidés de leur contenu, les livres sont collés et suspendus au-dessous des planches des étagères. Seule leur tranche reste visible. Il associe ainsi un principe de lévitation des objets, proche d’un procédé surréaliste, à une volonté purement plastique de montrer une succession de graphismes et de couleurs différentes. Les livres sont rangés par format et par coloris, suivant un principe qui n’est pas celui du hasard mais bien celui d’un classement aberrant. Ainsi classés, les mots retrouvent un enchaînement que l’on n’attendait pas, de L’amour dingue à Laurent Le Magnifique, du Bonheur des dames aux Dents du tigre. « Le langage est tellement plastique qu’on peut le mettre dans plein de médiums différents, y compris dans le livre. Soit le livre doit être fonctionnel, soit je le fige dans sa matérialité avec les bibliothèques », explique-t-il. Figé dans sa matérialité, le livre continue de fonctionner en tant que signe. Comme dans cette scène de dispute dans le film Une femme est une femme, où Anna Karina et Jean-Claude Brialy ne communiquent plus que par titres de livres interposés, les titres encore visibles de livres choisis par Claude Faure font sens dans l’enchaînement qui s’opère de l’un à l’autre. Même figé dans sa matérialité, le livre produit des significations. C’est dans cet entre-deux entre objet et signe que réside tout son travail.
Dans plusieurs de ses œuvres, il joue sur une partition entre l’œuvre et son titre : une partie du texte est écrite sur le support de l’œuvre elle-même, tandis que l’autre apparaît dans le titre. Ainsi pour l’œuvre intitulée La Pittura. Sur l’œuvre, nous ne lisons plus que Cosa mentale. Au spectateur de reconstituer la phrase de Vinci : « La pittura è cosa mentale ». Pour l’œuvre The less you see, the more you say, seule la mention The less you see est inscrite sur l’œuvre. The more you say en est le titre. Comme si seul ce qui concerne le langage trouvait à s’inscrire, tandis que ses conséquences visuelles traduites par un manque pouvaient à l’inverse s’écrire. « Enfin Daguerre vint, écrit Paul Valéry[6]. » Ajoutant : « Ainsi l’existence de la Photographie nous engagerait plutôt à cesser de vouloir décrire ce qui peut, de soi-même, s’inscrire », concluant ainsi à une éviction de la parole et de la description par l’image. Rien de tout cela chez Claude Faure. Ce rôle d’inscription accordé à la photographie, il semble qu’il le redonne au langage, en le tournant en objets.   


Faire prendre forme, mettre en couleur, décaler, faire lire dans tous les sens, le travail de Claude Faure consiste à fabriquer des objets dans lesquels forme et sens sont parfaitement imbriqués, si liés l’un à l’autre qu’ils provoquent un rire sensible, cristallin. Dans ses pièces, il n’y a pas à comprendre. Il suffit d’entrer dans un système, dans une sensibilité au sein de laquelle la forme devient lieu du sens. Une stratégie du renversement se met en place. Claude Faure oublie les noms savants pour mieux prendre le langage à son propre piège et le retourner comme un gant. Puisqu’il se modifie en objet, on peut le tourner à l’envers, le voir dans un miroir, regarder de l’autre côté si l’on peut le modifier dans quelque couleur ou matériau. Prendre les mots pour mieux se saisir du monde. Ou se dessaisir en lui.


Marion Daniel
Paris, Reykjavik, le 4 avril 2012










[1] Les notes non référencées de ce texte proviennent d’entretiens de Claude Faure avec l’auteur en 2009, 2010 et 2011.
[2] Voir notamment l’œuvre Für Jean-Paul Sartre, 1975, Centre Georges Pompidou, en trois parties, qui décompte le temps d’une vie jusqu’en 1975 et transcrit dans un langage plastique les Mots ainsi qu’une interview donnée par Sartre.
[3] Phrases extraites de Claude Faure, Minimes, Galerie Bernard Jordan, 2007.
[4] Éloge de l’italique, 1989, Emily Harvey Foundation.
[5] Les citations de Claude Faure non référencées proviennent d’entretiens avec l’auteur en 2009, 2010 et 2011.
[6] Paul Valéry, « Discours du centenaire de la photographie », Bulletin de la SFPC (mars 1939, 4e série, t. I, n°3. Repris in Études photographiques, 10, novembre 2001.

mercredi 8 août 2012

Jean-Pierre Pincemin, Chronologie.



Article publié dans le catalogue Malerei, Jean-Pierre Pincemin (p. 34-45), exposition organisée à Kassel en septembre 2004 dans le cadre de la candidature de Kassel pour le titre de Capitale européenne de la culture 2004 sous le titre « Développer la pensée de la Documenta ».


L’œuvre de Jean-Pierre Pincemin se fonde sur un paradoxe. Si l’artiste dit son attachement au principe de l’évolution logique lorsqu’il envisage son travail dans son ensemble, il ne sacrifie pas à l’axiome d’une linéarité propre aux chronologies. La perspective chronologique est au contraire principe dynamique, elle permet selon lui « de repérer les hauteurs d’une œuvre à l’autre », crée du discontinu.
Cette œuvre protéiforme possède les qualités d’un travail réflexif, critique. Elle affirme son essence analytique, l’exigence qui est la sienne d’une certaine « discipline de l’esprit », apprise notamment à l’écoute de la musique sérielle : le lieu pictural, ses limites, se définissent à leur tour dans chaque nouvel ouvrage en termes d’intervalles et de mouvement. Des jalons se dessinent, chaque série induisant la relecture d’un travail passé, d’une tradition artistique.
La discontinuité propre au travail du peintre a pour arrière-fond une certaine lecture du concept d’histoire. « La politique s’écrivait en termes d’Histoire, dit Jean-Pierre Pincemin évoquant l’éthique des pratiques artistiques auxquelles il a participé dans les années 1970, ou plutôt d’un fantasme d’Histoire. » Histoire de la musique marquée par le choc au début du XXe siècle d’une atonalité instituée par Schönberg, histoire de la peinture définitivement orientée par les découvertes du cubisme, la matière des artistes de cette époque n’est autre que la vaste étendue d’une mémoire. Un langage s’invente, qui tend à assimiler et à dépasser tout à la fois un ensemble délimité de réalisations, pensées comme lieux d’une analyse toujours plus précise du champ de l’œuvre. Le groupe Supports/ Surfaces, associé notamment dans ses visées politiques de type marxiste à un mouvement d’avant-garde, n’a néanmoins jamais donné sérieusement lieu à des lectures critiques de type proprement sociologique : la peinture ne devient « moyen de connaissance », selon les mots de Marcelin Pleynet, qu’en s’enfonçant dans sa matière, en dévoilant son propre déploiement. Son pôle marxiste s’affirme en termes de définition rigoureuse de moyens picturaux.
L’un des premiers jalons du travail de Pincemin est ainsi posé. Le travail des années Supports/ Surfaces fixe les orientations majeures à venir : le principe formulé par les acteurs du mouvement de réduction du tableau à ses strictes composantes matérielles, dissociées en châssis, et en toiles de facture souvent « pauvre » – chez Claude Viallat par exemple – dans une réflexion toujours renouvelée sur les modes de coloration d’une surface, est appliqué par Pincemin à la peinture seule. L’artiste engage une « déconstruction » des moyens picturaux, le collage et l’assemblage sur la toile de carrés colorés assumant le rôle de structure assigné traditionnellement au dessin. La rigueur d’un processus élaboré en vue d’un résultat, dans un esprit proche de celui du minimalisme américain, le rôle d’une esthétique industrielle, ne l’emportent toutefois pas sur une volupté du faire, une quête de l’émotion colorée… L’œuvre de Pincemin ne se définit qu’en termes de tensions : la totalité de cette recherche de type empirique n’affirme que l’ambiguïté du pictural.

Les prémices
1966. Les premières œuvres de Pincemin sont des sculptures, réalisées dans l’esprit de la sculpture polychrome populaire et du néo-constructivisme. L’artiste garde à l’esprit le principe appliqué par Fernand Léger dans ses dernières céramiques notamment, d’animation d’une surface par des contrastes colorés.
Ces assemblages de volumes géométriques, dont chacune des faces est colorée de façon autonome, produisent en effet un système de frottements d’une surface de couleur à l’autre. Ils déterminent deux orientations décisives d’un travail d’essence picturale, le choix d’une construction par modules et la faculté propre à la couleur de « ralentir » la forme, selon les mots du peintre. Le mouvement de circulation par contact d’une couleur vive à une couleur plus sombre reste de l’ordre de la vibration.
Fort de cette découverte d’une vertu propre à la mise en espace des principes picturaux, l’artiste dira par la suite qu’il assigne à la sculpture le rôle de « vérification » – ici a priori –  de la peinture.

« La grille »
Les Empreintes (1968-1969), puis les Carrés collés (1969-1974), établis selon un quadrillage orthogonal « en négatif » – ce dernier est défini par des interstices maintenus entre des parties égales découpées puis collées sur la toile – formulent des réponses originales au motif de la grille inauguré notamment par Mondrian. « Le pouvoir mythique de la grille tient à ce qu’elle nous persuade de ce que nous sommes sur le terrain du matérialisme (parfois de la science, parfois de la logique), écrit Rosalind Krauss[1], alors qu’elle nous fait en même temps pénétrer de plain-pied dans le domaine de la croyance (de l’illusion, de la fiction). » Espace autotélique centripète, affirmant une autonomie de l’œuvre et dans le même temps espace de fiction centrifuge, non fermé, renvoyant à des intérêts de type universel, la grille selon cet auteur est un mythe, c’est une structure qui permet à des valeurs de natures opposées de coexister au sein d’une organisation spatiale.
Jean-Pierre Pincemin joue sur cette dualité, il en fait la critique. Fidèle à des préoccupations d’ordre structurel, il définit d’emblée des modes de construction. Les Empreintes répètent sur des toiles libres un même module imprimé, de couleur bleue le plus souvent. L’artiste aboutit à une structure non centrée, selon une vision originale du principe du « all over » : le champ d’une œuvre n’est pas prédéterminé, ses limites se forment par ajouts successifs de morceaux de toile. Aussi l’espace autonome d’un travail d’essence abstraite, coupé a priori d’une réalité de perception, est-il dans le même temps ouvert vers cette réalité, n’étant pas clôturé. Le réel affleure par ailleurs directement dans la trace d’objets tels que des briques, tôles ondulées, grillages… Le motif de la grille est en quelque sorte « désacralisé », la peinture se tournant volontiers du côté du sensible.
Les Carrés collés peuvent être lus comme un ensemble de propositions variées sur la question de la limite en peinture, loin de toute rigidité caractéristique d’une certaine tradition moderniste. Les contours sont tantôt non démarqués, tantôt délimités par la toile laissée vierge, ou encore soulignés par une bande de couleur. Vastes fragments arrêtés au sein d’un continuum ou tout manifestant la tentation matérialiste du cadre, ces toiles cultivent une ambiguïté quant à leur objet. Ces essais originaux de projections du temps d’un processus d’emblée fixé ne se situent pas moins sur le plan d’une recherche pure de lois picturales, l’ensemble des solutions trouvées se déployant dans l’espace et le temps selon le mécanisme complexe d’une progression par disjonctions.
 La limite est aussi celle qui se dessine aux intervalles laissés entre les carrés de couleur. Elle tient lieu par conséquent de dessin, qui est la « colle » de l’œuvre selon Pincemin. L’organisation d’une structure est confiée à la couleur seule, dans une démarche refusant tout rigorisme, faisant alterner des systèmes binaires de carrés monochromes et de carrés trempés dans la couleur selon leur diagonale. Cette dernière méthode autorise déjà le dessin d’un motif – celui d’un grillage par exemple – voire d’un symbole (notons au passage le dessin des échelles, au symbolisme fort…). Le caractère de « fiction » propre aux œuvres modernistes dont parlait Rosalind Krauss semble ici directement désigné, voire détourné.
Le terme de structure reste important pour Jean-Pierre Pincemin lorsqu’il évoque ce travail du début des années 1970 : il renvoie à une conception matérialiste de la peinture, dont le procédé d’agencement peut être assimilé à celui de l’architecture, mais aussi à la philosophie structuraliste dominante à cette époque, qui envisage toutes les catégories sociales notamment en termes d’ensembles et de rapports. La préoccupation majeure de l’artiste, sur fond d’engagement politique, reste néanmoins de nature très classique : il s’agit de penser les rapports de la partie et du tout. La détermination d’un procédé strict de répétition n’interdit donc pas une réflexion en termes d’harmonie, elle permet d’aborder la question de la composition.

« Composer »
1974. Jean-Pierre Pincemin abandonne progressivement le procédé des Carrés Collés au profit de peintures qui, adoptant des formats toujours plus grands, témoignent d’un véritable désir de composition. Le dessin de la forme s’affirme désormais, grâce notamment à une utilisation des bandes colorées : il est le fruit d’un travail d’organisation globale de la toile.
L’un des derniers Carrés Collés utilise la bande noire, si chère à Mondrian – elle permet de ne pas enfermer, de maintenir un équilibre entre la ligne et le plan de couleur –, sur le mode de la frontière, du contour encadrant la toile et dessinant une forme au sein de celle-ci. Le désir d’ouvrir la toile à une forme d’infini est d’emblée tourné en dérision : cette dernière se fige dans ses limites. Le contour, esquissé auparavant par un travail sur les vides, tend à s’affirmer. Il permet à la fois le partage et l’accord des couleurs entre elles, qui se rejoignent par la loi du rapprochement chromatique.
Fort de cette « trouvaille », l’artiste n’abandonne néanmoins pas le procédé de découpage, de peinture et de collage, dans un travail qui aboutit cette fois à des toiles à bandes colorées de dimensions variées (ou « palissades ») : interstices et contours jouent alors le même rôle de production de la forme. Les volets de Matisse dans Porte-fenêtre à Collioure (1914) par exemple sont évoqués : la stricte recherche structurelle se double d’un véritable versant « historique », se déployant sur le mode de l’inspiration critique. L’œuvre gagne une forme d’épaisseur sémantique. Pincemin ne vise toutefois pas un art de la citation, qui formulerait une énième digression sur le thème classique de la « fenêtre » – d’emblée close –, il alimente sa recherche sans cesse recommencée de construction d’une surface plane par la couleur.
Il se tourne ensuite vers la tradition renaissante vénitienne d’essence coloriste – Titien, Véronèse sont souvent cités –, déployant des palettes raffinées de rouge notamment.  Monochromes ou fondées sur un système de variations chromatiques, ces toiles retrouvent dans l’agencement de formes colorées une aspiration vers une certaine profondeur, évoquée simplement autrefois par un travail sur la vibration de la couleur. Une étude de l’ordre de l’expérimentation scientifique sur la faculté de certaines couleurs d’éloigner ou de rapprocher le plan projette l’artiste dans la tradition d’une technique picturale, dont les lois se découvrent  par tâtonnements répétés.
Un véritable changement s’opère en 1978, grâce à l’introduction du châssis. Le phénomène d’extension ou de rétrécissement de la surface autorisé par les toiles libres n’est désormais plus possible : la composition devient très stricte, elle répond finalement au principe d’une rigueur, voire d’une rhétorique pure, propre à la peinture traditionnelle.

Pincemin ne cache pas son attachement particulier aux toiles de cette « grande période » d’essence presque lyrique, qui s’étend jusqu’en 1984. L’artiste conjugue les acquis de la tradition moderniste plane sur un mode critique – présence de plus en plus affirmée du cerne, abandon progressif de la pratique des aplats au profit d’une touche de plus en plus sensible – avec une certaine tentation de la profondeur. Bandes horizontales ou verticales tricolores, carrés séparés en deux parties rouge et bleue, schémas colorés plus complexes construits par exemple à partir d’un dessin géométrique de Josef Albers, monochromes architecturés selon le dessin de plusieurs carrés, harmonies brunes, l’ensemble de ces réalisations pose la question de la fusion des couleurs. « Tout tendait à un monochrome », raconte Pincemin, qui recherche alors une véritable harmonie chromatique. La superposition de multiples couches de peinture, appliquées selon le principe traditionnel du glacis, permet le passage délicat d’une couleur à l’autre, sur un mode musical, donnant enfin naissance à une « peinture émouvante ».

« La théorie de la Gestalt »
1984. La sculpture intitulée Le Jour d’après agit comme une onde de choc. Il s’agit d’une sculpture en pierre de dix tonnes et de onze mètres de long qui tend à « mettre en espace » une intuition d’ordre pictural, grâce à une organisation de type modulaire dont les jointures manifestent la progression d’un module à un autre : le processus prime la forme produite. Les présupposés propres aux pratiques des années Supports/Surface sont ainsi véritablement assumés.
Le changement de « manière » qui prend forme cette année-là avait été inauguré par une série de gravures qui, en 1983, projetait l’artiste dans une temporalité nouvelle, celle d’une écriture rapide, proche de l’improvisation. Le procédé de la pointe sèche sur plexiglas autorisait le déploiement d’un trait libre reliant un point de l’espace à un autre, l’artiste découvrant une structure nouvelle, de type aléatoire, détachée de la stricte rigueur géométrique. Lorsque l’on grave, écrit Francis Ponge dans le texte Matière et mémoire, « C’est comme si ce que l’on parle en face d’un visage, non seulement s’inscrivait dans la pensée de l’interlocuteur, dans la profondeur de sa tête, mais apparaissait en même temps en propres termes à la surface, sur l’épiderme, sur la peau du visage. »[2] La gravure de Jean-Pierre Pincemin invente cette temporalité double, qui ajoute au caractère d’inscription durable dans une forme d’épaisseur, celui d’une empreinte presque directe du trait. L’image gagne un caractère d’immédiateté : le temps du processus est comme ancré dans le résultat.

1985. La série L’Année de l’Inde rend manifeste le changement. Elle introduit de façon surprenante des motifs purement figuratifs représentés dans une planéité absolue, concrétisant un passage de la forme à la figure : l’image est devenue icône. L’artiste s’approprie un système de pensée orientale dont il ne connaît quasiment pas les règles, inscrivant son travail dans une logique de réponse à un système de pensée non assimilé par un mode du voir. Le temps d’un processus strictement pictural projeté au sein d’un pur objet visuel se fait l’écho de la densité, de l’épaisseur d’une culture indienne présentes dans des images planes au caractère énigmatique. Motifs orientaux, éléphants aux allures burlesques peuplent la peinture de Pincemin, l’impératif de structure si cher au peintre autorisant désormais la plus grande souplesse.
« Représenter, c’est le but de la peinture », dit en effet l’artiste. Il s’agit dès lors pour lui de se poser la question de l’image, de se demander, selon ses propres mots, « pourquoi ça représente ? », dans une réflexion qui convoque la théorie de la Gestalt selon Wittgenstein. Cette théorie postule l’organisation de la perception par ensembles, le tout manifestant enfin autre chose que la somme des parties. Le peintre évoque une image aperçue un jour, dont les seize rectangles de dimensions égales dans des valeurs de gris parvenaient à représenter de façon assez précise le portrait de Lincoln : la technique, découverte dans les Carrés collés, d’organisation d’une structure par ajouts successifs, trouve en quelque sorte son pendant en négatif. L’ensemble prime définitivement la partie.
Au cours de l’année 1988, des tableaux de type géométrique sont exposés aux côtés de toiles purement figuratives : la loi de circulation de la couleur découverte dès 1966, produit au sein des toiles abstraites « un effet de figuration », tout autant que le motif de l’arbre, récurrent dans le travail du peintre. Ce dernier multiplie les tentatives, il se pose désormais la question du « quoi faire ? », au sein d’une dynamique proprement picturale.
Le travail de Jean-Pierre Pincemin, dont la caractéristique d’ « invention » a souvent été soulignée, n’a en effet jamais perdu ses intentions premières de recherche de l’ordre d’une pure picturalité. A des conceptions d’ordre théorique répondent toujours un mode du faire : la « projection du voir » dont nous avons parlé gagne ainsi une forme de concrétisation dans l’utilisation devenue habituelle d’un système de rétro-projection d’œuvres déjà existantes – les siennes propres ou bien celles d’artistes du passé, nous y reviendrons – dont il retrace fidèlement les contours. La question du dessin est assumée, dans une utilisation toujours plus nette du cerne noir, laissant à la couleur le pouvoir de donner naissance à une véritable « peau de peinture », dont l’intensité est encore obtenue par la superposition de plusieurs couches chromatiques.

L’esthétique des « images trouvées », se manifestant dans la reprise presque systématique d’œuvres d’art appartenant à des cultures diverses, icônes religieuses dans les représentations de Saint Christophe, ou motifs repris à l’imagerie chinoise, inscrit la peinture de Pincemin dans une double logique, témoin d’une temporalité fondamentalement duelle. Cette « peinture d’histoire » gagne une véritable épaisseur de sens, elle est superposition de strates iconographiques.  Elle acquiert d’autre part un statut d’ « apparition » – le terme d’ « épiphanie » a même été employé –, de mise au jour et de projection tout ensemble d’un mode de pensée et de sa représentation, dans l’esprit d’une appropriation libre.
Les sources d’ « inspiration » de Jean-Pierre Pincemin, d’emblée nombreuses, tendent à se diversifier. Fidèle à une logique proprement empirique, le peintre interroge parfois la faculté de la peinture à organiser des réponses à des objets de type littéraire – c’est le cas dans sa série intitulée Micromégas selon le titre du conte de Voltaire – ou philosophique. La série  Traité des tourbillons (1992) affirme ce principe. Elle institue une forme de réponse visuelle à la complexité du langage de Descartes dans le texte du même nom, l’artiste imaginant la traduction d’un pur système scientifique en termes de construction formelle, d’un « faire ». Il ne s’agit en aucun cas d’illustrer un texte, ni d’en produire l’équivalent, mais d’émettre l’hypothèse d’un possible dialogue d’un langage à l’autre, d’une poétique à l’autre. Pincemin aboutit à un système de représentation qu’il compare lui-même avec humour au motif de la « pelote de laine », remarquant au passage qu’il se rapproche de ceux d’Hundertwasser ou de Van Gogh dans ses nuits étoilées, tout en évoquant la question des attirances propre aux philosophies orientales. Cette série a été mise en parallèle avec un ensemble de tableaux organisés selon un système de chevauchement de neuf formes rondes de trois couleurs différentes (rouge-jaune-brun, par exemple). Le phénomène de l’attirance, formulé par un ensemble compact de multiples traits circulaires, trouve son équivalent pictural dans une stricte démonstration de lois chromatiques.
Evoquons enfin ici la récurrence d’un travail sur les cosmogonies, l’importance des cartes géographiques, dans une série comme celle de La Dérive des continents (1994) : la naissance de la forme, ou le travail sur les frontières ainsi que le mouvement assigné à la couleur y gagnent véritablement le statut d’ « équivalents plastiques » de systèmes de pensée, assimilés enfin par la peinture.

Combinatoire
Ce parcours manquerait toutefois son but s’il n’insistait sur le rôle d’un effet « comique » visé par Jean-Pierre Pincemin dans ses œuvres.
Dès ses débuts, l’artiste fait en effet preuve de nonchalance à l’égard d’une tradition moderniste notamment. De la même manière, la reprise d’œuvres telles que celle de Jean Duvet, graveur français du XVIIe siècle, ou même celle de motifs islamiques ne saurait être appréhendée avec le plus grand sérieux. Le choix fréquent de thématiques « érotiques », le caractère proprement voluptueux de la majorité des toiles ajoutent à cet esprit plutôt rieur.
Pincemin évoque Goya dans les Caprices, ou même Charlie Chaplin : tous deux ordonnent un univers fait d’un nombre restreint d’objets, qui reviennent alternativement dans les gravures ou les scènes. Le mouvement permanent, les permutations constantes d’objets produisent un effet comique parfaitement réussi.
Le peintre n’agit pas autrement : ses réalisations des vingt dernières années fonctionnent selon la reprise constante de motifs anciens, qui sont superposés – « Il y a une femme là-dessous », disait-on dans le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac –, ou traités de manières toujours diversifiées, visant non seulement cet effet de mouvement tant recherché, mais l’esprit d’une certaine forme d’absurde fondateur.
Marion Daniel


[1] Rosalind Krauss, L’Originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Macula, 1993.
[2] Francis Ponge, « Matière et Mémoire », in Le Peintre à l’étude, Œuvres complètes I, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, p. 118-119.

lundi 23 juillet 2012

Laurence Papouin, Objets suspendus


Texte paru dans le catalogue Laurence Papouin, Vitry-sur-Seine : Novembre à Vitry, mai 2012.

Une peinture couche sur couche : dans une tradition picturale, c’est ce que Laurence Papouin réalise à l’acrylique sur des supports plastiques. Ces strates sèchent les unes sur les autres puis elle extrait, décolle et détache de leur support ce qui forme une épaisseur de peinture. Une résine, appliquée ensuite, lui permet de donner à ces matières qu’elle suspend à un point d’accroche une allure moins figée, en insistant davantage sur les plis qu’elle peut modeler. Sans l’utilisation de la résine, la peinture adopterait la forme que lui impose son propre poids. Elle se comporterait comme une forme molle que l’on aurait suspendue et qui s’affaisserait pli par pli à partir de son point d’attache. À cette forme donnée par les propriétés du support, l’artiste impulse un mouvement, une tension. Dans ses premières œuvres, elle cherche à peindre en débordant du cadre. Puis, très vite, c’est le support lui-même qui se transforme. La peinture, laissée seule, devient matière à façonner, à travailler, à sculpter. Une peinture couche sur couche : c’est aussi ce qui arrête le regard de Poussin et Porbus devant l’œuvre de Frenhofer dans Le chef-d’œuvre inconnu. Une peau de peinture, si incarnée que Porbus s’écrie : « Il y a une femme là-dessous ». Il y a une peau de peinture et il y a un corps. Laurence Papouin réalise des peaux, des tissus qui s’affaissent – des corps qui tombent – qu’elle travaille comme une matière. Elle y ajoute des motifs de nappes, de drapeaux ou de matières minérales, auxquels elle donne un aspect brillant, coloré, attrayant.
En voyant pour la première fois ces Peintures suspendues, j’ai repensé à Jim Dine et aux objets peints qu’il réalise dans les années 1960. Des travaux qui mobilisent tout autant la matière picturale que la mémoire. Ses objets (un costume par exemple) sont comme des fantômes de corps, des éléments qui marquent tout à la fois une absence et une présence profondément physique. Depuis près de dix ans, Laurence Papouin imprime elle aussi des traces, des marques. Ainsi dans les Coups de poing, des volumes d’acrylique qu’elle déforme et dans lesquels elle semble marquer comme des empreintes de gestes. Ses peintures parlent de corps. Elle transfère la souplesse de tissus malléables à la peinture mêlée à de la résine à laquelle elle fait prendre forme en quelques minutes, le temps que la matière sèche. Elle opère ainsi une translation de l’objet à la peinture, donnant à voir ce qui reste d’une peinture une fois qu’on lui a retiré tout support de tableau. La peinture chez Laurence Papouin n’est pas réduite à son support ; elle devient son propre support. Dans ses pièces toutes récentes, l’artiste dispose sur des barres de métal plusieurs Peintures suspendues placées côte à côte. Ainsi démultipliées, celles-ci regagnent réellement un statut d’objet. Francis Ponge dit qu’« il nous faut (…) choisir des objets véritables, objectant indéfiniment à nos désirs », qui soient « comme nos spectateurs, nos juges[1] ». En s’approchant de plus près de ces peintures, on s’aperçoit que ces matières brillantes, séduisantes, sont peintes sur leur tranche d’un liseré blanc. Comme si elles se figeaient dans le plâtre. Ainsi réifiée, détournée, singée, la peinture est suspendue avec humour au poids de notre imaginaire.

Marion Daniel



[1] Francis Ponge, « L’objet, c’est la poétique ». Texte paru pour la première fois dans le catalogue « L’objet », exposition organisée par François Mathey en 1962 au Musée des Arts décoratifs. 

lundi 16 juillet 2012

Le maître de la parole. Raymond Hains et les poètes. Texte publié dans "Raymond Hains, La boîte à fiches", éditions Analogues, 2006


Certains récits renferment tout l’éclat des commencements, désignent une origine. Raymond Hains aime à rappeler qu’il s’est trouvé, « par hasard », peu après son arrivée à Paris à tout juste vingt ans, à la conférence d’Antonin Artaud au Vieux Colombier, où il a croisé André Gide. Il évoque aussi la Tentative orale de Francis Ponge. C’était le 16 janvier 1947 au Club Maintenant  à Paris[1] :
« Ce qui m’avait impressionné, c’était qu’il avait parlé de la table à laquelle il était assis, et qu’il avait terminé en embrassant cette table, raconte-t-il. Ca avait un rapport avec Le Parti pris des choses.
Après cette soirée, j’ai eu l’occasion de lire dans Situations I de Jean-Paul Sartre « L’homme et les choses » sur Francis Ponge. Il parle de la phénoménologie à propos du Parti pris des choses. J’avais trouvé ça intéressant parce que c’était au moment où j’ai fait paraître Hépérile éclaté, que j’avais appelé « livre bouk émissaire ». Gide de son côté disait : « Les livres envahissent mon appartement. Ils prennent la place de la vie. J’ai beaucoup trop écrit moi-même. » »

La rencontre avec l’artiste débute par ces mots. Beaucoup de notions se bousculent, se juxtaposent, dans un texte dont nous déchiffrons le sens. Chacune de ces paroles semble pesée. Elle a sans doute déjà été prononcée, sera reprise littéralement une autre fois dans une discussion, fonctionnant ainsi à la manière d’une citation. Aucune explication n’est ajoutée, l’interprétation sans cesse rejetée. « J’ai tout dit mais vous ne m’avez pas compris », s’amuse-t-il à reprendre aux Evangiles. Dans ce premier discours, plusieurs lectures possibles de l’œuvre ont été définies.  Il ne s’agit pas d’un simple commentaire, mais de l’une des nombreuses constructions établies par Hains qui fabriquent son œuvre, lui sont immanentes.
Raymond Hains nous conduit ici de Francis Ponge à André Gide en passant par Jean-Paul Sartre et la phénoménologie, du Parti pris des choses à Hépérile éclaté. Une clé d’interprétation est donnée, proprement littéraire dans ce cas précis : une lecture poétique de l’œuvre de Hains est-elle pour autant possible ?

Construire 
  Ce terme sert de charpente à l’ensemble de l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci : « Celui qui n’a jamais saisi, fût-ce en rêve ! l’aventure d’une construction finie quand d’autres croient qu’elle commence,[…] alors celui-là ne connaît pas davantage, quel que soit d’ailleurs son savoir, l’étendue spirituelle qu’illumine le fait conscient de construire. »[2] Le créateur selon Valéry est en proie au doute : il voit double. Le monde se présente dans son étrangeté, masque l’étendue infinie des possibles. L’acte créateur oppose une réponse au trouble, invente un processus capable de rendre compte de cette vision duelle. L’œuvre d’art est tantôt choix, fragment ou détail d’un « jeu général de la pensée », tantôt synthèse, somme des capacités mises en œuvre par l’esprit.
Le travail de Raymond Hains s’inscrit dans cette logique, pose la question de la réalité. L’artiste tient toujours l’objet de sa recherche devant soi, glane, rapproche ou bien éloigne les objets, les lieux, les personnes, guettant la « relation de sympathie réciproque »[3] qui les traversera. Il n’en laisse affleurer que quelques bribes, images saisissantes, au cours d’un discours, ou dans une œuvre qui, à la manière des Macintoshages, rassemble images, livres et mots dans une fulgurance. L’œuvre gagne un statut d’énigme, invitant le spectateur à  retracer le cheminement fait par l’artiste : elle est la somme des possibles non présentés, non dits. Chaque fragment de discours s’inscrit dans une mémoire, il désigne un tissu d’analogies, de liens multiples échafaudés par le passé. Retrouvant Valéry, Raymond Hains affirmerait volontiers « qu’une œuvre a pour objet de faire imaginer une génération d’elle-même ».

 « Ce qui est intéressant, dit souvent l’artiste, c’est la dimension que prennent les événements avec le temps. » Les événements sont des récits : ce sont les rencontres, les œuvres et les lectures, la Tentative orale de 1947, la lecture de Pour un Malherbe, de l’Ecrit Beaubourg pour ce qui concerne Francis Ponge, la rencontre avec celui-ci à l’Alliance française, son côté « un peu trop puritain, qui lui faisait parler de Rimbaud comme d’un débauché »..., autant d’éléments d’une « pensée mythique », si nous reprenons la définition qu’en donne Lévi-Strauss dans la Pensée sauvage : « […] la pensée mythique, cette bricoleuse, élabore des structures en agençant des événements, ou plutôt des résidus d’événements[…] »[4]. Raymond Hains initie une nouvelle pratique du « bricolage » : il reconstruit sans cesse une œuvre à l’aide des mêmes récits, qu’il maintient dans un perpétuel présent. L’artiste met à jour son travail de notes, consigne de sa régulière écriture bleue les citations retenues lors de ses lectures sur de petites fiches, qu’il inventorie et réunit dans des boîtes. L’auteur s’absente, il est celui qui choisit, classe, tisse les liens d’une matière déjà écrite. Les histoires personnelles, le récit des manifestations de cette « rassurante étrangeté » constamment rencontrée restent de leur côté dans le champ de l’oralité. Ils ne s’énoncent pas moins avec la même rigueur, le même désir de décrire précisément, de ne pas introduire une trop grande subjectivité.

« Aux choses même » dit Husserl. La pensée phénoménologique à laquelle faisait allusion Raymond Hains est aussi appelée « psychologie descriptive » : il s’agit de s’établir hors de soi au cœur de la chose.
Hains a dit souvent l’importance qu’avait eue pour lui la lecture de l’article « L’homme et les choses », que Jean-Paul Sartre a consacré à Francis Ponge. Il découvre chez le poète une utilisation de la parole qui s’attache à dire l’objet dans la vérité de sa matière, dans son épaisseur, à épouser son mouvement. Néanmoins, Sartre insiste sur ce point, le Parti pris des choses n’implique en rien une disparition de l’homme. Francis Ponge travaille au contraire à partir d’une « authentique imprégnation »[5] des objets, porte toujours son choix vers les choses qui « tapissent le fond de sa mémoire ». Le souci d’objectivité affirmé par le poète à ses débuts, motivé par ce qu’il appelle le « drame de l’expression » –  rejet d’un langage « usé », impossibilité à dire la vérité d’une vie intérieure – permet de retrouver une richesse de paroles, la sensibilité d’une voix autrefois guettée par l’aphasie.
Raymond Hains se compte parmi les choses : « Je suis moi-même une abstraction personnifiée », répète-t-il, poussant à son extrémité le projet pongien de tendre à l’objectivité, en lui donnant une tournure tout autre. Lui n’hésite pas à s’exposer, il est d’un naturel moins tourmenté. Son image s’exporte avec légèreté. Sa mémoire également, qui est toujours le lieu de l’intime. Le « dossier confidentiel » de l’artiste hésite pourtant à se dire. Le secret sera d’une certaine manière bien gardé : il existe une façon de se raconter, de dire un aspect de soi qui passe en premier lieu par une lecture du monde.

L’œuvre-événement
  En dirigeant dans sa Tentative orale l’attention vers la table, en la faisant apparaître, Francis Ponge transforme la conférence, traditionnellement vouée aux discours rapportés, en lieu de l’événement, du présent[6]. Ce qui fascine le jeune Hains à cet instant précis, c’est ce que Ponge appellera dans un autre texte la faculté à faire « œuvre-objet »[7] ; l’auteur parle des esprits qui « tendent aux proverbes […]. Un poète de cette espèce ne donne la parole à rien du monde muet qu’aussitôt (non pas aussitôt ! à grand peine, et à force !) il ne produise œuvre-objet qui y entre, je veux dire dans le monde muet […] ».
Francis Ponge a déclaré à maintes reprises que l’ambition de sa poétique était de créer des œuvres qui aient l’évidence des choses. Le mot est une matière, il a un corps propre qui informe les qualités de l’objet. « Comme dans l’éponge il y a dans l’orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l’épreuve de l’expression » ainsi s’ouvre le texte « L’Orange ». Les « objets d’expression » forgés par le poète disent un autre mode de l’objet, selon les mots.

 « Les grands hommes n’ont pas besoin de signer », lance de son côté Raymond Hains, qui va plus loin en affirmant que ses œuvres étaient déjà là, avant qu’il ne les découvre et ne leur donne l’éclairage qu’elles attendaient. La photographie choisit, isole des éléments du réel qu’elle organise en une syntaxe nouvelle.
Prenez les bâtiments de la Banque de France : Raymond Hains fait de ces austères façades le lieu de toutes les rencontres. La banque de Flers comporte une plaque commémorant la Libération, or sur la façade de la banque d’une autre ville, c’est encore la Libération, à travers l’un de ses héros, le général Catroux, qui est célébrée. Les rapprochements sont parfois plus audacieux. La banque de France de Paris se situe sur la place Alexandre Dumas, Catherine de Médicis y a également habité… La mécanique hainsienne est en marche, les lieux s’appelant comme en écho les uns les autres. Une histoire de France d’un type nouveau s’écrit à travers eux, réunissant ainsi parfois des personnages que l’Histoire avait séparés.
L’objet, le lieu, la stèle, constituent ici l’origine d’une œuvre : la photographie leur restitue leur nature première de chose, de forme. L’artiste a instauré dans son travail un système complexe de renvois entre mots et choses. Retenant la leçon de Marcel Duchamp parfaitement analysée par Rosalind Krauss dans son article « Notes sur l’index »[8], il établit à son tour « la connexion entre l’index (comme espèce de signe) et la photographie ». Si la photographie est définie par lui dès 1947 comme « objet », soit comme un tout autonome, son statut n’en est pas moins celui de trace d’une réalité, de signe dont la signification conserve une forme d’ambiguïté. La présence presque systématique dans les photographies de Raymond Hains d’enseignes, de mots, de notices commémoratives, en fait le lieu d’un dialogue sans cesse alimenté entre l’objet, dans son aspect formel, et l’histoire qui est la sienne, lieu d’un possible avènement du sens. « Le tissu conjonctif qui lie les objets contenus dans la photographie, est celui du monde lui-même, plutôt que celui d’un système culturel », rappelle également Rosalind Krauss[9]. Sans doute Raymond Hains vise-t-il dans chacun de ses travaux photographiques une réalité brute, détachée de toute logique syntaxique, qui serait une forme « d’abstraction ». L’intérêt d’une telle démarche et sa condition de possibilité résident pourtant dans le rétablissement d’un lien entre ces signes « vides » et un sens : l’omniprésence des mots dans l’œuvre désigne un certain point d’origine du discours.

L’œuvre acquiert sa véritable visibilité dans un travail d’ordre langagier sur la « formule » dont parle Ponge. Calembours, mots d’esprit sous-tendent la plupart des œuvres, cristallisant une rencontre heureuse. Ils sont ces fragments de texte isolés inscrits dans les marges des livres lus, noms propres ou longues citations, évoquant comme en écho dans l’esprit du lecteur les fils d’une combinatoire initiée par l’artiste. Ce sont eux qui font événement : ils ont le caractère énigmatique de l’oracle, mettant fin pour un moment seulement à toute autre forme de discours.

Statut de la parole
Raymond Hains ne s’y trompe pas. Si Francis Ponge rappelle dans sa Tentative orale qu’il a « longtemps pensé que s’[il] avai[t] décidé d’écrire, c’était justement contre la parole orale, contre les bêtises qu’[il] venai[t] de dire dans une conversation »[10], son projet est tout autre. Il décide de parler, dit les problèmes rencontrés dans le langage. La parole que vise Francis Ponge est jouissance.
 « Paroles, crevez ainsi comme des bulles, laissant un orifice, un cratère au sommet de votre gonflement muet, votre mamelon.
Ô Bouches, os, oris, oracles, orifices.
[…]Il ne s’agit que de bouillonner et d’exploser selon un langage.[11] »
Le « corps » des mots n’est pas une simple figure. Il est question chez Ponge d’une « nouvelle étreinte » entre l’homme et le monde muet, qui l’épuise au point de lui faire perdre la parole pour en inventer une autre.
Les lettres de Hépérile éclaté ont « crevé », « bouillonné », « éclaté », chacun des verbes utilisés par Ponge convient étrangement au projet de Raymond Hains, qui fait dans cette œuvre l’expérience de « l’illisible ». Il ne s’agit pas a priori d’une simple « coïncidence » mais bien d’un projet commun. Les deux hommes se placent sous l’égide d’Apollinaire –  « O bouches, l’homme est à la recherche d’un nouveau langage » aime aussi à citer Hains[12] –  et de Mallarmé, acteurs tous deux d’une « révolution poétique »[13]. L’illisible serait ce point limite d’une tentative de parole disant une expérience véritable de confrontation avec le monde.

Raymond Hains marche dans les pas de Francis Ponge, le poursuit dans sa « rage de l’expression », détourne ses formules. « J’aurais voulu appeler cette exposition Pour un Malesherbes »[14] dit-il. Le Pour un Malherbe invente une pratique de la langue, décompose un nom, en fait la généalogie. Un simple mot donne naissance à une image, qui soutient la pensée esthétique d’une page. Le poète développe un art de la métaphore, qui s’appuie toujours sur des images très concrètes, fonctionnant sur le mode du rappel.
« […] quelque chose de mâle (Malherbe) et de libre (mauvaise herbe), mais quelle mauvaise herbe ? Celle qui croît au pied des remparts ou des belles maisons cubiques bien solides, de ces bâtiments d’éternelle structure. » Nous entrons ensuite dans sa maison, le monument : « dans ton château chaque salle est en ordre, point encombrée, royalement dallée. Le pas résonne. Poésie à trois dimensions. Abstraite, pourtant sans sécheresse. »[15]
La comparaison entre l’écrivain et l’artiste n’alimentera pas un nouveau développement sur le thème de l’Ut pictura poesis. La « matière » de Raymond Hains, celle dans laquelle doit « s’enfoncer » l’artiste selon Francis Ponge, n’est pas la peinture. « Prendre un tube de vert, dirait-il avec Ponge, Amasser de la couleur verte, et l’étaler sur la page, ce n’est pas faire un pré. […] Ils naissent autrement. Ils sourdent de la page. Et encore faudrait-il que ce soit une page brune. »[16] La parole conviendra mieux, elle seule est capable « d’installer inoubliablement » une image dans la mémoire.[17]
« Poésie abstraite », ainsi pourrait-on qualifier le travail de Raymond Hains lorsqu’il dit « prendre les choses au pied de la lettre ». Chacun des discours qu’il offre à l’auditeur attentif est un « emboîtement » de signifiants, se présente dans son refus de l’analyse conceptuelle. Dans le vaste jeu de chaises musicales qu’il instaure entre mots et choses, les mots gagnent souvent le statut d’origine. Leur matière sonore, le jeu des homonymies approximatives entraînent des associations qui s’enchaînent jusqu’à « faire image » :
 « Les habitants de Corseul sont les curiosolites, commence-t-il. J’ai fait un jeu de mot, j’ai dit que j’étais un curieusolite. Or Fulcanelli parle dans les Demeures philosophales des « curieux par nature ». Baudelaire a aussi écrit les Curiosités esthétiques ».
Pour Raymond Hains, toutes ces « découvertes » doivent prendre forme. La matière des signifiants en appelle une autre, celle des images. L’œuvre est donnée par les mots, aussi est-elle selon l’artiste toujours « déjà prête ». Si elle devait être montrée, il faudrait exposer ici des photographies de Corseul, site gallo-romain important dont l’artiste a découvert au moment de son exposition à la Fondation Cartier que la situation géographique correspondait à celle du village d’Astérix … En outre, les auteurs et ouvrages cités seraient représentés par des photographies ou des gravures, constituant un ensemble dans lequel nous serions invités à circuler, à « glisser » d’une forme à l’autre. Les mots à l’origine de l’œuvre gagnent ainsi une plasticité, se font signes.
L’œuvre d’art est chaque fois à elle seule sa propre esthétique : vaste parcours sémiologique, elle est aussi l’occasion pour l’auteur de désigner ses pères – Baudelaire, Mallarmé, ou Fulcanelli –, d’inventer son origine, de créer son propre « monument ».

L’utopie du Livre
« Le verre cannelé nous semble l’un des plus sûrs moyens de s’écarter de la légèreté poétique, écrivent Raymond Hains et Jacques de la Villeglé dans le texte de présentation de Hépérile éclaté. Hépérile éclaté est un livre bouk émissaire. » Philippe Forest a noté l’étrangeté de la formule : « elle semble faire de l’œuvre comme l’objet d’un sacrifice […]. »[18] Détruire le livre, le langage, pour en inventer un autre, tel est en effet l’objet du travail des deux artistes dans cette œuvre de 1953.
La conférence du Vieux-Colombier donnée par Antonin Artaud en 1947, dont beaucoup ont retenu l’image d’un homme totalement affaibli ne pouvant achever son discours, faisant alterner le silence et les cris, reste pour Raymond Hains un moment phare. Il en parle rétrospectivement comme de l’un de ces « hasards téléobjectifs », qui prennent une dimension avec le temps, les découvertes qui les suivent. Le projet d’un théâtre de la cruauté trouve à s’accomplir dans le spectacle de cet homme abîmé. Le poète parle d’abattre un état social actuel, de reconstruire un corps nouveau : la parole qu’il invente est fondamentalement une transgression, la littérature s’affirme comme acte, elle est aussi bien silence. Hains désigne dans les deux événements donnés par Ponge et Artaud deux modèles bien précis d’attitudes adoptées à l’endroit du langage.
Le livre n’est pourtant jamais abandonné par ces deux auteurs et l’assertion retenue à propos de Gide[19] a de quoi surprendre de la part d’un inlassable lecteur. Comment doit-on interpréter le paradoxe consistant à déplorer la longueur de certains ouvrages – celle du Jeu de patience de Louis Guilloux par exemple –, et dans le même temps à envisager, alimenter sans cesse le projet d’écrire une véritable encyclopédie personnelle, comprenant la totalité des faits de rencontres ?
Il semble que la représentation de l’ensemble des possibles lui apparaisse parfois comme un horizon indépassable, vertigineux. La tentation du silence ne serait pas tout à fait écartée.

  « Tout doit aboutir à un Livre » assure-t-il toutefois en citant Mallarmé, élevé par l’artiste au rang de « maître de la parole ». Le modèle semble ainsi avoué, et sa propre initiative enfin désignée : mais s’agit-il d’une utopie, d’un « monument » unique, d’un « livre à venir », inachevable ? Ou bien d’une encyclopédie, comme le dit parfois l’artiste ?
Francis Ponge apparaît ici encore comme un guide : son « Livre » dit à la fois la formule, ou la maxime, et les réflexions qui l’ont amenée. Il n’est pas une somme mais une tentative. [20]

L’œuvre chantier
Chez Francis Ponge, l’attention se déplace du produit fini vers le spectacle du processus, du « chantier » de l’écriture. C’est ce que Raymond Hains retient en premier lieu du Pour un Malherbe, ce qui lui fait parler non pas simplement de matière mais de « modèle ». Dans le Carnet du bois de pins, et un peu plus tard dans le Pour un Malherbe en effet, l’écriture se fait fragmentaire, chacune des sections est datée, des plans de travail sont restitués. Le temps de l’écriture se présente dans sa circularité : formules simples et longues digressions se succèdent, donnant enfin un caractère de visibilité à la construction que décrivait Valéry. Le monument donne à voir son échafaudage : c’est le centre Pompidou soulignant ses propres fondations dans sa vaste tuyauterie colorée[21]. Il existait aussi bien dans le chantier initial, les gravats, les palissades.
La parole poétique trouve de son côté son rythme. Entendons ici celui des paroles de Raymond Hains :

« Ainsi, voici le ton trouvé, où l’indifférence est atteinte.
C’était bien l’important. Tout à partir de là coulera de source… Une autre fois.
Et je puis aussi bien me taire. »[22]

Marion Daniel




[1] La version que nous connaissons est la transcription de la conférence donnée une semaine plus tard à Bruxelles.
[2] Paul Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Gallimard, 46-47.
[3] Yves Bonnefoy, Entretiens sur la poésie (1972-1990), Mercure de France, 1990, p. 18.
[4] Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Plon, 1962, p. 32.
[5] Pour un Malherbe : « Malherbe fait partie de mon authentique imprégnation ».
[6] Cf. à ce sujet la notice de Gérard Farasse sur la Tentative orale, OC, I, p. 1124.
[7] In Pour un Malherbe, OC, II, 33.
[8] In Rosalind Krauss, L’Originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Macula, 1993, p. 63-91.
[9] Ibid., p. 80.
[10] Tentative orale, OC, I, p. 654.
[11] OC, II, p. 605 : « Paroles à propos des nus de Fautrier »

[12] Guillaume Apollinaire, Calligrammes.
[13] Cf. Julia Kristeva, titre de son ouvrage, Seuil, 1974.
[14] RH parle ici de l’exposition en cours.
[15] Pour un Malherbe, O. C., II, p. 10.
[16] Francis Ponge, La Fabrique du pré, O.C., II, p. 478.
[17] Ponge, Pour un Malherbe, op. cit., p. 241.
[18] Philippe Forest, Raymond Hains, uns romans, Gallimard, 2004, p. 69.

[19] « […] J’ai beaucoup trop écrit moi-même […] ».
[20] Pour un Malherbe, p. 56 : « Il est bien sûr que mon particulier est là : essayer d’arriver au poème bref (texte bref, cru et adéquat) et en même temps faire à ce propos de longues études des réflexions d’ordre méthodologique, moral, politique, que sais-je – intéressantes par elles-mêmes. »
[21] Cf. Francis Ponge, L’Ecrit Beaubourg, OC, II, p. 900
[22] Francis Ponge, La Rage de l’expression, « L’œillet », O.C, I, p. 365.