jeudi 4 juillet 2013

Les riches heures de Jean Bonichon

Texte paru sur le site du collectif r : www.collectifr.fr


Penser des traductions poétiques en objets, telle pourrait être une façon de nommer la mécanique à l’œuvre chez Jean Bonichon. Un Prix de la ville de Nantes en 2011, une exposition à la Bibliothèque Universitaire d’Angers puis à la galerie du Haut Pavé en 2013 mais aussi des projets collectifs lui ont permis de montrer beaucoup d’œuvres récentes. Dans l’exposition à l’Atelier de la Ville de Nantes en 2012, il présente une série de pièces du « bestiaire inadapté », situées entre fait-main et ready-made. Pour Jean Bonichon, le ready-made ou l’objet trouvé est ce qui apporte de la narration. Objet qui vient de quelque part et a vécu quelque part, il fonctionne sur le principe du déplacement. Dans son glissement d’un contexte dans un autre, il est lourd d’une mémoire : on lui octroie toujours un nom. Légers, les objets de Jean Bonichon font pourtant « le poids », comme le préconise Francis Ponge. Loin d’être de simples émanations ou des machines à produire des images, ils se situent dans une juste position entre matérialité et langage.
Sur ce va-et-vient entre objet et langage, Jean Bonichon fonde toute sa poétique. Il inaugure une esthétique du fragment : ainsi dans son « bestiaire inadapté », une Croisière blanche (2012), large plaque de tôle sur laquelle il installe des moulages de cornes de rhinocéros, mémoires de bêtes engluées dans une fausse embarcation dont il ne resterait que des masques en plâtre. Peau de chagrin associe un travail sur la brillance d’un matériau – une baignoire – à un corps sectionné d’ours, engageant une réflexion sur « le devenir des ours » : un devenir-peau de chagrin. La théorie de la reine bouge détourne celle de la reine rouge reprise par Lewis Carroll : « Nous courons pour rester à notre place » devient un jeu de croquet surélevé, sur une table dont les pieds sont ceux de grands oiseaux. Chez Jean Bonichon, ces nouveaux bestiaires, tout comme Alice au pays des merveilles, ne sont pas lus dans une version édulcorée : ce ne sont pas des livres pour enfants mais des œuvres métaphoriques, critiques de leur époque. Des chroniques animalières à faire pâlir les perce-oreilles, bourdons et autres insectes des Grandes Heures d’Anne de Bretagne d’un Jean Bourdichon.
Jeu de balle interdit perce un ballon de basket à l’aide d’une défense d’éléphant, une façon, encore, de penser le monde sous la forme d’une chaîne de signifiants qui s’agencent les uns aux autres, en inventant des histoires. Mets tes bonichons, tu vas prendre froid ! rejoue sous une autre forme une esthétique du fragment. Souvenirs surréalistes, ce sont des sculptures de mains sur lesquelles sont enfilés de petits gants. Rappelons que Bonichon veut simplement dire « petits bonnets », n’en déplaise à ceux qui chercheraient à ce nom une autre définition. Jean Bonichon articule des jeux de mots en objets. Il tient d’un Magritte qui aurait rencontré Raymond Hains. Comme Magritte, il pense que tout ne se réduit pas aux mots, que les mots et les images ne coïncident jamais. C’est sur cet écart qu’il fonde tout son travail. Proche de celui d’un Raymond Hains, aussi, tout son univers se pense sous forme d’interprétations multiples fondées sur des rencontres d’objets et des combinatoires de hasards. Des objets-performances ou objets-sculptures grâce auxquels il organise son rapport au monde. À la « rencontre fortuite d’un fer à repasser et d’un parapluie sur une table de dissection » il donne une forme, qu’il repasse ensuite au crible du langage, non seulement à travers ses titres mais dans l’association incongrue d’images. Comment transcrire un univers mental en objets, c’est aussi ce qui intéressait Raymond Hains, en allant du côté du calembour visuel. Jean Bonichon réalise aussi beaucoup de vidéos. Dans l’une d’entre elles, il sabre le champagne en plaçant une bouteille sur une machine à laver en marche. Nommer ses images nous mène invariablement à créer malgré soi du non-sens. Un humour anglais mêlé à un humour belge, le tout secoué jusqu’à ce qu’en émane une formule. 
Pour l’exposition L’éveil des sakura – les sakura sont des cerisiers ornementaux au Japon – il crée des images fortes, dont cette culotte de géant peinte, flottant au dessus des Terres rouges. On y retrouve le motif des bottes, dans une autre pièce engluées dans une plaque d’étain, cette fois juchées sur des briques. Un Bonzaï-bondage, harnaché par une corde et entouré d’un parallélépipède en forme de grille, tient à la fois de l’objet potache et de la sculpture minimaliste. Le sens est chez lui ce qui se découvre à première vue puis se niche et se travaille dans des formes beaucoup plus complexes qu’elles n’y paraissent. À plusieurs reprises, il crée des réalisations sensibles en étain, notamment Nuages d’étain, plaques dont les anfractuosités font apparaître des images : une fois de plus, la sensibilité au matériau fait naître l’œuvre. Tout se passe toujours comme si, chez Jean Bonichon, c’est en tentant de nommer ce que l’on voit que survient le sens. Il est question, chez lui, de tester les limites du langage en proposant des détours par la forme et la matière. Des détours-détournements par associations incongrues ou par agencements, jamais forcés.

Marion Daniel
Paris, 4 mai 2013

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