Penser des traductions
poétiques en objets, telle pourrait être une façon de nommer la mécanique à
l’œuvre chez Jean Bonichon. Un Prix de la ville de Nantes en 2011, une
exposition à la Bibliothèque Universitaire d’Angers puis à la galerie du Haut
Pavé en 2013 mais aussi des projets collectifs lui ont permis de montrer
beaucoup d’œuvres récentes. Dans l’exposition à l’Atelier de la Ville de
Nantes en 2012, il présente une série de pièces du « bestiaire inadapté », situées
entre fait-main et ready-made. Pour Jean Bonichon, le ready-made ou l’objet
trouvé est ce qui apporte de la narration. Objet qui vient de quelque part et a
vécu quelque part, il fonctionne sur le principe du déplacement. Dans son
glissement d’un contexte dans un autre, il est lourd d’une mémoire : on
lui octroie toujours un nom. Légers, les objets de Jean Bonichon font pourtant
« le poids », comme le préconise Francis Ponge. Loin d’être de
simples émanations ou des machines à produire des images, ils se situent dans
une juste position entre matérialité et langage.
Sur ce va-et-vient entre objet
et langage, Jean Bonichon fonde toute sa poétique. Il inaugure une esthétique
du fragment : ainsi dans son « bestiaire inadapté », une Croisière blanche (2012),
large plaque de tôle sur laquelle il installe des moulages de cornes de
rhinocéros, mémoires de bêtes engluées dans une fausse embarcation dont il ne
resterait que des masques en plâtre. Peau
de chagrin associe un travail sur la brillance d’un matériau – une
baignoire – à un corps sectionné d’ours, engageant une réflexion sur « le
devenir des ours » : un devenir-peau de chagrin. La théorie de la reine bouge détourne celle de la reine rouge
reprise par Lewis Carroll : « Nous courons pour rester à notre place »
devient un jeu de croquet surélevé, sur une table dont les pieds sont ceux de
grands oiseaux. Chez Jean Bonichon, ces nouveaux bestiaires, tout comme Alice au pays des merveilles, ne sont
pas lus dans une version édulcorée : ce ne sont pas des livres pour
enfants mais des œuvres métaphoriques, critiques de leur époque. Des chroniques
animalières à faire pâlir les perce-oreilles, bourdons et autres insectes des Grandes Heures d’Anne de Bretagne d’un
Jean Bourdichon.
Jeu de balle interdit perce un ballon de
basket à l’aide d’une défense d’éléphant, une façon, encore, de penser le monde
sous la forme d’une chaîne de signifiants qui s’agencent les uns aux autres, en
inventant des histoires. Mets tes
bonichons, tu vas prendre froid ! rejoue sous une autre forme une
esthétique du fragment. Souvenirs surréalistes, ce sont des sculptures de mains
sur lesquelles sont enfilés de petits gants. Rappelons que Bonichon veut
simplement dire « petits bonnets », n’en déplaise à ceux qui
chercheraient à ce nom une autre définition. Jean Bonichon articule des jeux de
mots en objets. Il tient d’un Magritte qui aurait rencontré Raymond Hains.
Comme Magritte, il pense que tout ne se réduit pas aux mots, que les mots et
les images ne coïncident jamais. C’est sur cet écart qu’il fonde tout son
travail. Proche de celui d’un Raymond Hains, aussi, tout son univers se pense
sous forme d’interprétations multiples fondées sur des rencontres d’objets et
des combinatoires de hasards. Des objets-performances ou objets-sculptures
grâce auxquels il organise son rapport au monde. À la « rencontre fortuite
d’un fer à repasser et d’un parapluie sur une table de dissection » il
donne une forme, qu’il repasse ensuite au crible du langage, non seulement à
travers ses titres mais dans l’association incongrue d’images. Comment
transcrire un univers mental en objets, c’est aussi ce qui intéressait Raymond
Hains, en allant du côté du calembour visuel. Jean Bonichon réalise aussi
beaucoup de vidéos. Dans l’une d’entre elles, il sabre le champagne en plaçant
une bouteille sur une machine à laver en marche. Nommer ses images nous mène
invariablement à créer malgré soi du non-sens. Un humour anglais mêlé à un
humour belge, le tout secoué jusqu’à ce qu’en émane une formule.
Pour
l’exposition L’éveil des sakura –
les sakura sont des cerisiers ornementaux au Japon – il crée des images
fortes, dont cette culotte de géant peinte, flottant au dessus des Terres rouges. On y retrouve le motif
des bottes, dans une autre pièce engluées dans une plaque d’étain, cette fois
juchées sur des briques. Un Bonzaï-bondage,
harnaché par une corde et entouré d’un parallélépipède en forme de grille,
tient à la fois de l’objet potache et de la sculpture minimaliste. Le sens est
chez lui ce qui se découvre à première vue puis se niche et se travaille dans
des formes beaucoup plus complexes qu’elles n’y paraissent. À plusieurs
reprises, il crée des réalisations sensibles en étain, notamment Nuages d’étain, plaques dont les
anfractuosités font apparaître des images :
une fois de plus, la sensibilité au matériau fait naître l’œuvre. Tout se passe
toujours comme si, chez Jean Bonichon, c’est en tentant de nommer ce que l’on
voit que survient le sens. Il est question, chez lui, de tester les limites du
langage en proposant des détours par la forme et la matière. Des
détours-détournements par associations incongrues ou par agencements, jamais
forcés.
Marion
Daniel
Paris, 4
mai 2013
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