Olivier David mène conjointement une œuvre photographique
et vidéo. Il y a des incrustations 3D dans ses photographies et de la
photographie dans ses vidéos. Vidéos, ou « dispositifs de vidéo
projection », tels qu’il les décrit lui-même. Dans les années 1990,
l’artiste a d’abord réalisé des installations. Puis il s’est retiré, a fait du
bateau, découvert le GPS. Durant ces années, il pense les relations entre la
carte et le territoire. Ce qui s’éprouve, physiquement, face à ce qui se
dessine, se trace, se capture. Dans les années 2000, il commence à utiliser la
3D. Plusieurs éléments interagissent alors dans son travail, en
particulier dans ses dispositifs de vidéo projection : le temps de la capture
du réel, la 3D virtuelle, la course à l’anticipation des usages. Images
mentales, perceptions subjectives, élément réels ou éclatés y constituent des
pistes de renvois permanents. Tout ceci participe d’une réflexion très aiguë
chez l’artiste autour du concept de « réalité augmentée[1] ».
Les objets de synthèse qu’il ajoute dans ses vidéos, des avatars, viennent s’y
insérer dans un second temps. Ils s’inscrivent alors dans la capture vidéo
d’images du réel. De la même façon, dans ses photographies, Olivier David
« encapsule » des figures virtuelles, c’est-à-dire qu’il crée des
« capsules » dans l’image pour y insérer des avatars.
Ses
objets vidéo et photographiques sont des objets de pensée. Il y organise par
exemple une rencontre entre trois types de lumières : la lumière
naturelle, celle de la prise de vue et celle, virtuelle, qui se recompose dans
l’espace du logiciel en 3D (une lumière plus « tardive »). Des
éléments documentaires sont à la base de ses photographies : suivre un
homme, un Sans Domicile Fixe, repérer son endroit, celui qu’il habite
temporairement. Un lieu dans lequel s’imprime sa trace, sous le porche d’un
immeuble ou d’un hôtel, dans des rampes d’accès, autant d’endroits situés entre
intérieur et extérieur. La photographie rend compte du lieu, se situant à
l’endroit précis où le corps est désormais absent. Dans le même temps, les
corps chez Olivier David sont souvent ceux d’avatars : peau grise,
brillante, minérale, épaisse-lisse, trop présente. Ces projections abstraites
s’inscrivent dans l’espace, marquent le lieu du passage. Dans sa démarche,
l’artiste fait référence au Livre des
passages de Walter Benjamin : même déambulation dans la ville, même
quête. Ses personnages réels se situent également dans un entre-deux. Ainsi
dans la photographie Cool captif,
2010 : un homme, assis, fait la manche. À son pied, un bracelet
électronique, indice à la fois visible et discret. Un personnage en transit et
en sursis, comme tous ceux qui habitent ses photographies.
Être hors-sol
Ces photographies ont une « peau ». Ce sont des
lieux qui s’éprouvent, se parcourent. Dans la vidéo Les évanouissements, des avatars traversent un espace. Le principe
est celui d’une caméra objective-subjective : des personnages dont on
observe progressivement la chute lente comme si l’on assistait à sa propre
chute, dont le corps est traversé par des objets, dans un déplacement vers un
autre type d’espace. Second Life a
été une source d’inspiration pour Olivier David. Ce jeu lui a permis de
« se voir représenté en tant qu’avatar, d’être hors-sol ». Il invite
à vivre dans un temps différé, dans une autre peau, organisant un rapport
trouble au présent comme temps de l’expérience. Cette dimension trouble du
temps intéresse l’artiste dans la photographie, qui rend toujours compte d’un
présent-déjà-passé, dans un temps indéfini. En créant des décalages grâce à
l’incrustation des avatars, il ajoute une étrangeté de plus, prenant la
photographie pour ce qu’elle est : un écran de temps stratifiés.
Les lieux qu’il choisit incarnent invariablement des pertes
du temps. L’écran bleu ou vert, chez lui, figure le non-lieu. Être
« hors-sol » c’est être téléporté. La notion d’altérité est chaque
fois présente : Olivier David oppose le temps de l’action à celui dans lequel
on se voit représenté comme un autre. Dans Les
évanouissements, il expérimente l’idée d’un écran à trous, ménageant des
zones de noir. Il cherche de cette manière « le bord du jeu »,
l’endroit où réel et fiction se rejoignent : les spectateurs se voient à
travers les trous. « Ce qui est de l’ordre du hors-champ bascule dans le
champ de l’image », dit-il. Dans les dispositifs vidéo, cette
téléportation agit à différents niveaux. Le jeu entre présence et absence est
un motif constant de son travail. Dans la vidéo L’ascension du futur antérieur, 2004, le vent souffle sur les pas
d’un fantôme. On assiste à une inscription progressive des traces et à leur
disparition. Comme si tout ce qui s’inscrivait dans le champ de l’image ne
pouvait se lire que dans un après-coup, une absence.
Sculpture et photographie
L’artiste entretient un lien ambigu avec l’idée de
sculpture, qu’il garde toujours présente même au sein de photographies et
d’images virtuelles. Les avatars « déposés » dans le champ de l’image
adoptent un aspect très sculptural. Les plis du corps y sont très marqués.
Olivier David parle aussi de « pansements », grâce auxquels on répare
des choses cassées en 3D.
Les dispositifs vidéo participent de cette dimension
sculpturale de son travail. Ainsi dans La
Doublure, 2010, une vidéo ne comportant pas de personnages, mais un espace,
une rampe de passage, encore la couleur grise. Les éléments d’une architecture
s’y mettent en branle, leurs structures se dédoublent et se détachent, jouant
une sorte de ballet géométrique au son d’une musique cristalline, puis
retrouvent leur place initiale. Dans l’espace de l’exposition Havanna Moon au FRAC des Pays de la
Loire (2011), la pièce joue le rôle d’une sculpture. L’écran, situé au centre
gauche de la pièce en entrant, adopte une dimension d’objet. Non fiché au mur,
il est possible de le contourner. Le spectateur – tous ne le font pas tant il
est difficile de franchir le seuil, d’aller regarder ce qui se passe derrière
l’écran – peut aller voir les armatures, vérifier la façon dont l’image se
tient dans l’espace. L’écran, prenant la forme d’une fenêtre et d’une
sculpture, est rythmé par des barres de fer qui répètent une scansion présente
dans l’image à travers le motif d’une fenêtre. Le déroulé du film rappelle le
jeu géométrique et fortement spatial des peintures suprématistes de Malevitch,
dans lesquelles des plans et rectangles colorés gravitent au sein d’un espace
qu’ils travaillent, creusent.
La dimension sculpturale de cette pièce
s’éprouve dans la création d’un nouvel espace. Un espace dédoublé et rythmé,
physique et rêvé. La vidéo Composite
produit un effet similaire. Adoptant un dispositif de monstration plus
classique de projection sur un mur, l’œuvre reprend le principe d’une
photographie animée par une action simple. Le plan est sculptural : vue
sur une carrière dont on perçoit toutes les anfractuosités. Il évoque des
pyramides égyptiennes. Par moments seulement, un éboulement a lieu. Dans
l’espace du FRAC, la vidéo joue en contrepoint de La Doublure. Les sons se répondent, les événements se succèdent,
dans une orchestration du temps à la fois désynchronisée et réflexive, pensée.
Nappes sonores et carnets vidéo
Havanna Moon, 2010, est une série de
photographies prises dans un jardin d’enfant, sur un manège. Dans une image
très structurée par une barrière grise en ligne de fond, en gros plan des
personnages d’enfants en attente, dont on perçoit les regards. L’un d’entre eux
semble en latence, en arrêt. Au fil des images, les enfants s’éloignent dans un
mouvement du manège qui crée un flou. Au premier plan, un tissus gris – couleur
de l’avatar – crée l’événement : depuis un léger frémissement, une chute
progressive de son support, jusqu’à la prise presque totale de l’image. Dans un
second temps, un autre tissu gris apparaît qui s’anime comme un corps – on
perçoit comme un mouvement de jambes. Il coupe l’image et sépare encore les
regards.
Des froissements, des crissements, du silence, encore des
froissements. Dans les vidéos de Olivier David, les sons produisent une
atmosphère, construisent un espace. Une correspondance s’instaure ici entre les
moments de regards arrêtés, un motif musical et la progression lente d’un corps
abstrait. Ces sons vibrants forment une épaisseur, une nappe tactile. Havanna Moon, décrite par l’artiste comme
une « esquisse
d'un vidéo-conte autour d'un riff de Chuck Berry », est entièrement
construite sur cette phrase musicale qui scande
toute la durée de l’œuvre. Grâce à la reprise d’un motif musical, il casse le
déroulé temporel classique d’une suite d’images, organisant un autre rapport au
temps. Ici, la musique joue un rôle similaire à celui de l’association d’images
de différentes natures (images réelles, images virtuelles) : créer un
écart, un décalage de temps, dans une action qui prend
corps à la fois en musique et dans la création en mouvements successifs d’un
corps abstrait.
Olivier David adopte depuis quelque temps la forme du
« carnet vidéo ». Ces carnets reprennent des recherches, d’ensembles
d’éléments plus anciens ou récents qu’il fait dialoguer entre eux. Ils
intègrent des notes vidéos, des photographies, différents projets. Dans ces
carnets, la forme de temps latent visé par l’artiste est peut-être la plus
juste. Eux aussi mélangent deux temps : celui de la prise de vue
photographique et le temps virtuel. Il emploie à leur sujet une expression
étrange, en parlant de « temps recuit ». On y retrouve les espaces du
dehors, les fenêtres, les lieux de passage, les lieux qu’on n’identifie qu’à
peine, les espaces du seuil ou de l’entre-deux. S’y dessinent ce qu’il nomme
des « lignes de désir », esquissées ailleurs ou à une autre époque,
reprises au présent. Entre photographie et vidéo, elles tracent la carte d’un
territoire toujours singulier, sculptant chaque fois plus précisément leur
statut d’images de pensée et leur inscription dans un temps à la fois suspendu
et fortement rythmé. Des lieux pour mieux éprouver le réel dans ses
anfractuosités, son épaisseur.
[1] Les expressions entre guillemets et citations non référencées de ce
texte proviennent d’un entretien de l’auteur avec Olivier David le 14 novembre
2011.
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