Texte paru dans le catalogue Laurence Papouin, Vitry-sur-Seine : Novembre à Vitry, mai 2012.
Une peinture couche sur couche : dans une
tradition picturale, c’est ce que Laurence Papouin réalise à l’acrylique sur
des supports plastiques. Ces strates sèchent les unes sur les autres puis elle
extrait, décolle et détache de leur support ce qui forme une épaisseur de
peinture. Une résine, appliquée ensuite, lui permet de donner à ces matières
qu’elle suspend à un point d’accroche une allure moins figée, en insistant
davantage sur les plis qu’elle peut modeler. Sans l’utilisation de la résine,
la peinture adopterait la forme que lui impose son propre poids. Elle se
comporterait comme une forme molle que l’on aurait suspendue et qui
s’affaisserait pli par pli à partir de son point d’attache. À cette forme
donnée par les propriétés du support, l’artiste impulse un mouvement, une
tension. Dans ses premières œuvres, elle cherche à peindre en débordant du
cadre. Puis, très vite, c’est le support lui-même qui se transforme. La
peinture, laissée seule, devient matière à façonner, à travailler, à sculpter.
Une peinture couche sur couche : c’est aussi ce qui arrête le regard de
Poussin et Porbus devant l’œuvre de Frenhofer dans Le chef-d’œuvre inconnu. Une peau de peinture, si incarnée que
Porbus s’écrie : « Il y a une femme là-dessous ». Il y a
une peau de peinture et il y a un corps. Laurence Papouin réalise des peaux,
des tissus qui s’affaissent – des corps qui tombent – qu’elle travaille comme
une matière. Elle y ajoute des motifs de nappes, de drapeaux ou de matières
minérales, auxquels elle donne un aspect brillant, coloré, attrayant.
En voyant pour la première fois ces Peintures suspendues, j’ai repensé à Jim Dine et aux objets peints
qu’il réalise dans les années 1960. Des travaux qui mobilisent tout autant la
matière picturale que la mémoire. Ses objets (un costume par exemple) sont
comme des fantômes de corps, des éléments qui marquent tout à la fois une
absence et une présence profondément physique. Depuis près de dix ans, Laurence
Papouin imprime elle aussi des traces, des marques. Ainsi dans les Coups de poing, des volumes d’acrylique
qu’elle déforme et dans lesquels elle semble marquer comme des empreintes de
gestes. Ses peintures parlent de corps. Elle transfère la souplesse de tissus
malléables à la peinture mêlée à de la résine à laquelle elle fait prendre
forme en quelques minutes, le temps que la matière sèche. Elle opère ainsi une
translation de l’objet à la peinture, donnant à voir ce qui reste d’une
peinture une fois qu’on lui a retiré tout support de tableau. La peinture chez
Laurence Papouin n’est pas réduite à son support ; elle devient son propre
support. Dans ses pièces toutes récentes, l’artiste dispose sur des barres de
métal plusieurs Peintures suspendues
placées côte à côte. Ainsi démultipliées, celles-ci regagnent réellement un
statut d’objet. Francis Ponge dit qu’« il nous faut (…) choisir des objets
véritables, objectant indéfiniment à nos désirs », qui soient « comme
nos spectateurs, nos juges[1] ».
En s’approchant de plus près de ces peintures, on s’aperçoit que ces matières
brillantes, séduisantes, sont peintes sur leur tranche d’un liseré blanc. Comme
si elles se figeaient dans le plâtre. Ainsi réifiée, détournée, singée, la
peinture est suspendue avec humour au poids de notre imaginaire.
Marion Daniel
Marion Daniel
[1] Francis Ponge, « L’objet, c’est la poétique ». Texte paru
pour la première fois dans le catalogue « L’objet », exposition
organisée par François Mathey en 1962 au Musée des Arts décoratifs.
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