lundi 23 juillet 2012

Laurence Papouin, Objets suspendus


Texte paru dans le catalogue Laurence Papouin, Vitry-sur-Seine : Novembre à Vitry, mai 2012.

Une peinture couche sur couche : dans une tradition picturale, c’est ce que Laurence Papouin réalise à l’acrylique sur des supports plastiques. Ces strates sèchent les unes sur les autres puis elle extrait, décolle et détache de leur support ce qui forme une épaisseur de peinture. Une résine, appliquée ensuite, lui permet de donner à ces matières qu’elle suspend à un point d’accroche une allure moins figée, en insistant davantage sur les plis qu’elle peut modeler. Sans l’utilisation de la résine, la peinture adopterait la forme que lui impose son propre poids. Elle se comporterait comme une forme molle que l’on aurait suspendue et qui s’affaisserait pli par pli à partir de son point d’attache. À cette forme donnée par les propriétés du support, l’artiste impulse un mouvement, une tension. Dans ses premières œuvres, elle cherche à peindre en débordant du cadre. Puis, très vite, c’est le support lui-même qui se transforme. La peinture, laissée seule, devient matière à façonner, à travailler, à sculpter. Une peinture couche sur couche : c’est aussi ce qui arrête le regard de Poussin et Porbus devant l’œuvre de Frenhofer dans Le chef-d’œuvre inconnu. Une peau de peinture, si incarnée que Porbus s’écrie : « Il y a une femme là-dessous ». Il y a une peau de peinture et il y a un corps. Laurence Papouin réalise des peaux, des tissus qui s’affaissent – des corps qui tombent – qu’elle travaille comme une matière. Elle y ajoute des motifs de nappes, de drapeaux ou de matières minérales, auxquels elle donne un aspect brillant, coloré, attrayant.
En voyant pour la première fois ces Peintures suspendues, j’ai repensé à Jim Dine et aux objets peints qu’il réalise dans les années 1960. Des travaux qui mobilisent tout autant la matière picturale que la mémoire. Ses objets (un costume par exemple) sont comme des fantômes de corps, des éléments qui marquent tout à la fois une absence et une présence profondément physique. Depuis près de dix ans, Laurence Papouin imprime elle aussi des traces, des marques. Ainsi dans les Coups de poing, des volumes d’acrylique qu’elle déforme et dans lesquels elle semble marquer comme des empreintes de gestes. Ses peintures parlent de corps. Elle transfère la souplesse de tissus malléables à la peinture mêlée à de la résine à laquelle elle fait prendre forme en quelques minutes, le temps que la matière sèche. Elle opère ainsi une translation de l’objet à la peinture, donnant à voir ce qui reste d’une peinture une fois qu’on lui a retiré tout support de tableau. La peinture chez Laurence Papouin n’est pas réduite à son support ; elle devient son propre support. Dans ses pièces toutes récentes, l’artiste dispose sur des barres de métal plusieurs Peintures suspendues placées côte à côte. Ainsi démultipliées, celles-ci regagnent réellement un statut d’objet. Francis Ponge dit qu’« il nous faut (…) choisir des objets véritables, objectant indéfiniment à nos désirs », qui soient « comme nos spectateurs, nos juges[1] ». En s’approchant de plus près de ces peintures, on s’aperçoit que ces matières brillantes, séduisantes, sont peintes sur leur tranche d’un liseré blanc. Comme si elles se figeaient dans le plâtre. Ainsi réifiée, détournée, singée, la peinture est suspendue avec humour au poids de notre imaginaire.

Marion Daniel



[1] Francis Ponge, « L’objet, c’est la poétique ». Texte paru pour la première fois dans le catalogue « L’objet », exposition organisée par François Mathey en 1962 au Musée des Arts décoratifs. 

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