Article
publié dans le catalogue Malerei,
Jean-Pierre Pincemin (p. 34-45), exposition organisée à Kassel en septembre
2004 dans le cadre de la candidature de Kassel pour le titre de Capitale
européenne de la culture 2004 sous le titre « Développer la pensée de la
Documenta ».
L’œuvre de Jean-Pierre Pincemin se fonde sur un paradoxe. Si
l’artiste dit son attachement au principe de l’évolution logique lorsqu’il
envisage son travail dans son ensemble, il ne sacrifie pas à l’axiome d’une
linéarité propre aux chronologies. La perspective chronologique est au
contraire principe dynamique, elle permet selon lui « de repérer les
hauteurs d’une œuvre à l’autre », crée du discontinu.
Cette œuvre protéiforme possède les qualités d’un travail
réflexif, critique. Elle affirme son essence analytique, l’exigence qui est la
sienne d’une certaine « discipline de l’esprit », apprise notamment à
l’écoute de la musique sérielle : le lieu pictural, ses limites, se
définissent à leur tour dans chaque nouvel ouvrage en termes d’intervalles et
de mouvement. Des jalons se dessinent, chaque série induisant la relecture d’un
travail passé, d’une tradition artistique.
La discontinuité propre au travail du peintre a pour
arrière-fond une certaine lecture du concept d’histoire. « La politique s’écrivait en termes
d’Histoire, dit Jean-Pierre Pincemin évoquant l’éthique des pratiques
artistiques auxquelles il a participé dans les années 1970, ou plutôt d’un fantasme d’Histoire. »
Histoire de la musique marquée par le choc au début du XXe siècle d’une
atonalité instituée par Schönberg, histoire de la peinture définitivement
orientée par les découvertes du cubisme, la matière des artistes de cette
époque n’est autre que la vaste étendue d’une mémoire. Un langage s’invente,
qui tend à assimiler et à dépasser tout à la fois un ensemble délimité de
réalisations, pensées comme lieux d’une analyse toujours plus précise du champ
de l’œuvre. Le groupe Supports/ Surfaces,
associé notamment dans ses visées politiques de type marxiste à un mouvement
d’avant-garde, n’a néanmoins jamais donné sérieusement lieu à des lectures
critiques de type proprement sociologique : la peinture ne devient
« moyen de connaissance », selon les mots de Marcelin Pleynet, qu’en
s’enfonçant dans sa matière, en dévoilant son propre déploiement. Son pôle
marxiste s’affirme en termes de définition rigoureuse de moyens picturaux.
L’un des premiers jalons du travail de Pincemin est ainsi
posé. Le travail des années Supports/
Surfaces fixe les orientations majeures à venir : le principe
formulé par les acteurs du mouvement de réduction du tableau à ses strictes
composantes matérielles, dissociées en châssis, et en toiles de facture souvent
« pauvre » – chez Claude Viallat par exemple – dans une réflexion toujours
renouvelée sur les modes de coloration d’une surface, est appliqué par Pincemin
à la peinture seule. L’artiste engage une « déconstruction » des
moyens picturaux, le collage et l’assemblage sur la toile de carrés colorés
assumant le rôle de structure assigné traditionnellement au dessin. La rigueur
d’un processus élaboré en vue d’un résultat, dans un esprit proche de celui du
minimalisme américain, le rôle d’une esthétique industrielle, ne l’emportent
toutefois pas sur une volupté du faire, une quête de l’émotion colorée… L’œuvre
de Pincemin ne se définit qu’en termes de tensions : la totalité de cette
recherche de type empirique n’affirme que l’ambiguïté du pictural.
Les
prémices
1966. Les
premières œuvres de Pincemin sont des sculptures, réalisées dans l’esprit de la
sculpture polychrome populaire et du néo-constructivisme. L’artiste garde à
l’esprit le principe appliqué par Fernand Léger dans ses dernières céramiques
notamment, d’animation d’une surface par des contrastes colorés.
Ces assemblages de volumes géométriques, dont chacune des
faces est colorée de façon autonome, produisent en effet un système de
frottements d’une surface de couleur à l’autre. Ils déterminent deux
orientations décisives d’un travail d’essence picturale, le choix d’une construction
par modules et la faculté propre à la couleur de « ralentir » la
forme, selon les mots du peintre. Le mouvement de circulation par contact d’une
couleur vive à une couleur plus sombre reste de l’ordre de la vibration.
Fort de cette découverte d’une vertu propre à la mise en
espace des principes picturaux, l’artiste dira par la suite qu’il assigne à la
sculpture le rôle de « vérification » – ici a priori – de la
peinture.
« La
grille »
Les Empreintes
(1968-1969), puis les Carrés collés
(1969-1974), établis selon un quadrillage orthogonal « en négatif » –
ce dernier est défini par des interstices maintenus entre des parties égales
découpées puis collées sur la toile – formulent des réponses originales au
motif de la grille inauguré notamment par Mondrian. « Le pouvoir mythique de la grille tient à ce qu’elle nous persuade de ce
que nous sommes sur le terrain du matérialisme (parfois de la science, parfois
de la logique), écrit Rosalind Krauss[1],
alors qu’elle nous fait en même temps
pénétrer de plain-pied dans le domaine de la croyance (de l’illusion, de la
fiction). » Espace autotélique centripète, affirmant une autonomie de
l’œuvre et dans le même temps espace de fiction centrifuge, non fermé,
renvoyant à des intérêts de type universel, la grille selon cet auteur est un
mythe, c’est une structure qui permet à des valeurs de natures opposées de
coexister au sein d’une organisation spatiale.
Jean-Pierre Pincemin joue sur cette dualité, il en fait la
critique. Fidèle à des préoccupations d’ordre structurel, il définit d’emblée
des modes de construction. Les Empreintes
répètent sur des toiles libres un même module imprimé, de couleur bleue le plus
souvent. L’artiste aboutit à une structure non centrée, selon une vision
originale du principe du « all over » :
le champ d’une œuvre n’est pas prédéterminé, ses limites se forment par ajouts
successifs de morceaux de toile. Aussi l’espace autonome d’un travail d’essence
abstraite, coupé a priori d’une
réalité de perception, est-il dans le même temps ouvert vers cette réalité,
n’étant pas clôturé. Le réel affleure par ailleurs directement dans la trace
d’objets tels que des briques, tôles ondulées, grillages… Le motif de la grille
est en quelque sorte « désacralisé », la peinture se tournant volontiers
du côté du sensible.
Les Carrés collés peuvent
être lus comme un ensemble de propositions variées sur la question de la limite
en peinture, loin de toute rigidité caractéristique d’une certaine tradition
moderniste. Les contours sont tantôt non démarqués, tantôt délimités par la
toile laissée vierge, ou encore soulignés par une bande de couleur. Vastes
fragments arrêtés au sein d’un continuum ou tout manifestant la tentation
matérialiste du cadre, ces toiles cultivent une ambiguïté quant à leur objet.
Ces essais originaux de projections du temps d’un processus d’emblée fixé ne se
situent pas moins sur le plan d’une recherche pure de lois picturales,
l’ensemble des solutions trouvées se déployant dans l’espace et le temps selon
le mécanisme complexe d’une progression par disjonctions.
La limite est
aussi celle qui se dessine aux intervalles laissés entre les carrés de couleur.
Elle tient lieu par conséquent de dessin, qui est la « colle » de
l’œuvre selon Pincemin. L’organisation d’une structure est confiée à la couleur
seule, dans une démarche refusant tout rigorisme, faisant alterner des systèmes
binaires de carrés monochromes et de carrés trempés dans la couleur selon leur
diagonale. Cette dernière méthode autorise déjà le dessin d’un motif – celui
d’un grillage par exemple – voire d’un symbole (notons au passage le dessin des
échelles, au symbolisme fort…). Le caractère de « fiction » propre
aux œuvres modernistes dont parlait Rosalind Krauss semble ici directement
désigné, voire détourné.
Le terme de structure reste important pour Jean-Pierre
Pincemin lorsqu’il évoque ce travail du début des années 1970 : il renvoie
à une conception matérialiste de la peinture, dont le procédé d’agencement peut
être assimilé à celui de l’architecture, mais aussi à la philosophie
structuraliste dominante à cette époque, qui envisage toutes les catégories
sociales notamment en termes d’ensembles et de rapports. La préoccupation
majeure de l’artiste, sur fond d’engagement politique, reste néanmoins de
nature très classique : il s’agit de penser les rapports de la partie et
du tout. La détermination d’un procédé strict de répétition n’interdit donc pas
une réflexion en termes d’harmonie, elle permet d’aborder la question de la
composition.
« Composer »
1974.
Jean-Pierre Pincemin abandonne progressivement le procédé des Carrés Collés au profit de peintures
qui, adoptant des formats toujours plus grands, témoignent d’un véritable désir
de composition. Le dessin de la forme s’affirme désormais, grâce notamment à
une utilisation des bandes colorées : il est le fruit d’un travail
d’organisation globale de la toile.
L’un des derniers Carrés
Collés utilise la bande noire, si chère à Mondrian – elle permet de ne pas
enfermer, de maintenir un équilibre entre la ligne et le plan de couleur –, sur
le mode de la frontière, du contour encadrant la toile et dessinant une forme
au sein de celle-ci. Le désir d’ouvrir la toile à une forme d’infini est
d’emblée tourné en dérision : cette dernière se fige dans ses limites. Le
contour, esquissé auparavant par un travail sur les vides, tend à s’affirmer.
Il permet à la fois le partage et l’accord des couleurs entre elles, qui se
rejoignent par la loi du rapprochement chromatique.
Fort de cette « trouvaille », l’artiste n’abandonne
néanmoins pas le procédé de découpage, de peinture et de collage, dans un
travail qui aboutit cette fois à des toiles à bandes colorées de dimensions
variées (ou « palissades ») : interstices et contours
jouent alors le même rôle de production de la forme. Les volets de Matisse dans
Porte-fenêtre à Collioure (1914) par
exemple sont évoqués : la stricte recherche structurelle se double d’un
véritable versant « historique », se déployant sur le mode de
l’inspiration critique. L’œuvre gagne une forme d’épaisseur sémantique.
Pincemin ne vise toutefois pas un art de la citation, qui formulerait une
énième digression sur le thème classique de la « fenêtre » – d’emblée
close –, il alimente sa recherche sans cesse recommencée de construction d’une
surface plane par la couleur.
Il se tourne ensuite vers la tradition renaissante vénitienne
d’essence coloriste – Titien, Véronèse sont souvent cités –, déployant des
palettes raffinées de rouge notamment.
Monochromes ou fondées sur un système de variations chromatiques, ces
toiles retrouvent dans l’agencement de formes colorées une aspiration vers une
certaine profondeur, évoquée simplement autrefois par un travail sur la
vibration de la couleur. Une étude de l’ordre de l’expérimentation scientifique
sur la faculté de certaines couleurs d’éloigner ou de rapprocher le plan
projette l’artiste dans la tradition d’une technique picturale, dont les lois
se découvrent par tâtonnements
répétés.
Un véritable changement s’opère en 1978, grâce à
l’introduction du châssis. Le phénomène d’extension ou de rétrécissement de la
surface autorisé par les toiles libres n’est désormais plus possible : la
composition devient très stricte, elle répond finalement au principe d’une
rigueur, voire d’une rhétorique pure, propre à la peinture traditionnelle.
Pincemin ne cache pas son attachement particulier aux toiles
de cette « grande période » d’essence presque lyrique, qui s’étend
jusqu’en 1984. L’artiste conjugue les acquis de la tradition moderniste plane
sur un mode critique – présence de plus en plus affirmée du cerne, abandon
progressif de la pratique des aplats au profit d’une touche de plus en plus
sensible – avec une certaine tentation de la profondeur. Bandes horizontales ou
verticales tricolores, carrés séparés en deux parties rouge et bleue, schémas
colorés plus complexes construits par exemple à partir d’un dessin géométrique
de Josef Albers, monochromes architecturés selon le dessin de plusieurs carrés,
harmonies brunes, l’ensemble de ces réalisations pose la question de la fusion
des couleurs. « Tout tendait à un
monochrome », raconte Pincemin, qui recherche alors une véritable
harmonie chromatique. La superposition de multiples couches de peinture,
appliquées selon le principe traditionnel du glacis, permet le passage délicat
d’une couleur à l’autre, sur un mode musical, donnant enfin naissance à une
« peinture émouvante ».
« La
théorie de la Gestalt »
1984. La
sculpture intitulée Le Jour d’après
agit comme une onde de choc. Il s’agit d’une sculpture en pierre de dix tonnes
et de onze mètres de long qui tend à « mettre en espace » une
intuition d’ordre pictural, grâce à une organisation de type modulaire dont les
jointures manifestent la progression d’un module à un autre : le processus
prime la forme produite. Les présupposés propres aux pratiques des années Supports/Surface sont ainsi
véritablement assumés.
Le changement de « manière » qui prend forme cette
année-là avait été inauguré par une série de gravures qui, en 1983, projetait
l’artiste dans une temporalité nouvelle, celle d’une écriture rapide, proche de
l’improvisation. Le procédé de la pointe sèche sur plexiglas autorisait le
déploiement d’un trait libre reliant un point de l’espace à un autre, l’artiste
découvrant une structure nouvelle, de type aléatoire, détachée de la stricte
rigueur géométrique. Lorsque l’on grave, écrit Francis Ponge dans le texte Matière et mémoire, « C’est comme si ce que l’on parle en face
d’un visage, non seulement s’inscrivait dans la pensée de l’interlocuteur, dans
la profondeur de sa tête, mais apparaissait en même temps en propres termes à
la surface, sur l’épiderme, sur la peau du visage. »[2] La gravure de
Jean-Pierre Pincemin invente cette temporalité double, qui ajoute au caractère
d’inscription durable dans une forme d’épaisseur, celui d’une empreinte presque
directe du trait. L’image gagne un caractère d’immédiateté : le temps du
processus est comme ancré dans le résultat.
1985. La
série L’Année de l’Inde rend
manifeste le changement. Elle introduit de façon surprenante des motifs
purement figuratifs représentés dans une planéité absolue, concrétisant un
passage de la forme à la figure : l’image est devenue icône. L’artiste
s’approprie un système de pensée orientale dont il ne connaît quasiment pas les
règles, inscrivant son travail dans une logique de réponse à un système de
pensée non assimilé par un mode du voir. Le temps d’un processus strictement
pictural projeté au sein d’un pur objet visuel se fait l’écho de la densité, de
l’épaisseur d’une culture indienne présentes dans des images planes au
caractère énigmatique. Motifs orientaux, éléphants aux allures burlesques
peuplent la peinture de Pincemin, l’impératif de structure si cher au peintre
autorisant désormais la plus grande souplesse.
« Représenter, c’est le but de la peinture », dit
en effet l’artiste. Il s’agit dès lors pour lui de se poser la question de
l’image, de se demander, selon ses propres mots, « pourquoi ça
représente ? », dans une réflexion qui convoque la théorie de la
Gestalt selon Wittgenstein. Cette théorie postule l’organisation de la perception
par ensembles, le tout manifestant enfin autre chose que la somme des parties.
Le peintre évoque une image aperçue un jour, dont les seize rectangles de
dimensions égales dans des valeurs de gris parvenaient à représenter de façon
assez précise le portrait de Lincoln : la technique, découverte dans les Carrés collés, d’organisation d’une
structure par ajouts successifs, trouve en quelque sorte son pendant en
négatif. L’ensemble prime définitivement la partie.
Au cours de l’année 1988, des tableaux de type géométrique
sont exposés aux côtés de toiles purement figuratives : la loi de
circulation de la couleur découverte dès 1966, produit au sein des toiles
abstraites « un effet de figuration », tout autant que le motif de
l’arbre, récurrent dans le travail du peintre. Ce dernier multiplie les
tentatives, il se pose désormais la question du « quoi
faire ? », au sein d’une dynamique proprement picturale.
Le travail de Jean-Pierre Pincemin, dont la caractéristique
d’ « invention » a souvent été soulignée, n’a en effet jamais
perdu ses intentions premières de recherche de l’ordre d’une pure
picturalité. A des conceptions d’ordre théorique répondent toujours un mode du
faire : la « projection du voir » dont nous avons parlé gagne
ainsi une forme de concrétisation dans l’utilisation devenue habituelle d’un
système de rétro-projection d’œuvres déjà existantes – les siennes propres ou
bien celles d’artistes du passé, nous y reviendrons – dont il retrace
fidèlement les contours. La question du dessin est assumée, dans une
utilisation toujours plus nette du cerne noir, laissant à la couleur le pouvoir
de donner naissance à une véritable « peau de peinture », dont
l’intensité est encore obtenue par la superposition de plusieurs couches
chromatiques.
L’esthétique des « images trouvées », se
manifestant dans la reprise presque systématique d’œuvres d’art appartenant à
des cultures diverses, icônes religieuses dans les représentations de Saint
Christophe, ou motifs repris à l’imagerie chinoise, inscrit la peinture de
Pincemin dans une double logique, témoin d’une temporalité fondamentalement
duelle. Cette « peinture d’histoire » gagne une véritable épaisseur
de sens, elle est superposition de strates iconographiques. Elle acquiert d’autre part un statut
d’ « apparition » – le terme d’ « épiphanie » a même
été employé –, de mise au jour et de projection tout ensemble d’un mode de
pensée et de sa représentation, dans l’esprit d’une appropriation libre.
Les sources d’ « inspiration » de Jean-Pierre
Pincemin, d’emblée nombreuses, tendent à se diversifier. Fidèle à une logique
proprement empirique, le peintre interroge parfois la faculté de la peinture à
organiser des réponses à des objets de type littéraire – c’est le cas dans sa
série intitulée Micromégas selon le
titre du conte de Voltaire – ou philosophique. La série Traité des tourbillons (1992) affirme ce principe. Elle institue une forme de réponse visuelle à
la complexité du langage de Descartes dans le texte du même nom, l’artiste
imaginant la traduction d’un pur système scientifique en termes de construction
formelle, d’un « faire ». Il ne s’agit en aucun cas d’illustrer un
texte, ni d’en produire l’équivalent, mais d’émettre l’hypothèse d’un possible
dialogue d’un langage à l’autre, d’une poétique à l’autre. Pincemin aboutit à
un système de représentation qu’il compare lui-même avec humour au motif de la
« pelote de laine », remarquant au passage qu’il se rapproche de ceux
d’Hundertwasser ou de Van Gogh dans ses nuits étoilées, tout en évoquant la
question des attirances propre aux philosophies orientales. Cette série a été
mise en parallèle avec un ensemble de tableaux organisés selon un système de
chevauchement de neuf formes rondes de trois couleurs différentes
(rouge-jaune-brun, par exemple). Le phénomène de l’attirance, formulé par un
ensemble compact de multiples traits circulaires, trouve son équivalent
pictural dans une stricte démonstration de lois chromatiques.
Evoquons enfin ici la récurrence d’un travail sur les
cosmogonies, l’importance des cartes géographiques, dans une série comme celle
de La Dérive des continents
(1994) : la naissance de la forme, ou le travail sur les frontières ainsi
que le mouvement assigné à la couleur y gagnent véritablement le statut
d’ « équivalents plastiques » de systèmes de pensée, assimilés
enfin par la peinture.
Combinatoire
Ce parcours manquerait toutefois son but s’il n’insistait sur
le rôle d’un effet « comique » visé par Jean-Pierre Pincemin dans ses
œuvres.
Dès ses débuts, l’artiste fait en effet preuve de nonchalance
à l’égard d’une tradition moderniste notamment. De la même manière, la reprise
d’œuvres telles que celle de Jean Duvet, graveur français du XVIIe siècle, ou
même celle de motifs islamiques ne saurait être appréhendée avec le plus grand
sérieux. Le choix fréquent de thématiques « érotiques », le caractère
proprement voluptueux de la majorité des toiles ajoutent à cet esprit plutôt
rieur.
Pincemin
évoque Goya dans les Caprices, ou
même Charlie Chaplin : tous deux ordonnent un univers fait d’un nombre
restreint d’objets, qui reviennent alternativement dans les gravures ou les
scènes. Le mouvement permanent, les permutations constantes d’objets produisent
un effet comique parfaitement réussi.
Le peintre n’agit pas autrement : ses réalisations des
vingt dernières années fonctionnent selon la reprise constante de motifs
anciens, qui sont superposés – « Il y a une femme là-dessous »,
disait-on dans le Chef-d’œuvre inconnu
de Balzac –, ou traités de manières toujours diversifiées, visant non seulement
cet effet de mouvement tant recherché, mais l’esprit d’une certaine forme
d’absurde fondateur.
Marion Daniel
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